Bien qu’elle soit atteinte d’une maladie incurable telle que Alzheimer, cela n’avait point fait reculer Ghada devant sa volonté de faire la connaissance de sa belle mère. Elle et le détective privé, s’étaient mis d’accord pour aller le mercredi d’après. Le jour j arrivé, ils avaient pris un vol interne vers Djerba. Ils n’étaient que quelques dizaines sur ce court vol. Pendant ce temps là, Ghada, fut très calme et émergée dans son petit monde à elle.
Borhen, qui ne faisait que manger et draguer de temps à autre chaque hôtesse qui passe prés d’eux, leva vers elle un regard agréable et dit.
- Cava, j’espère ?
Elle traça le fantôme d’un sourire et murmura.
- Oui, cava.
- T’es très silencieuse aujourd’hui ! et se faisant passer pour un malin, c’est sûrement l’effet du trac !
Elle élargissait son sourire et continua.
- Oui c’est sûr !
Et tourna la tête vers le hublot et suivait du regard le ciel peu nuageux, puis ferma les yeux quelques temps. Un clignotement des yeux qui la plongea dans le passé proche. Deux jours avant, elle était allée à l’hôpital rencontrer son médecin traiteur.
Après l’avoir examiné un petit quart d’heure, elle boutonna son chemisier puis le suivait dans son bureau. Il enleva ses lunettes de vue, puis laissa un doux regard la contourner.
- On n’avance pas comme ça mademoiselle Ghada.
Sans oser le regarder dans les yeux, elle balbutia.
- Je ne laisserai pas le cancer me détruire la vie…
Il lui coupa la parole, un peu sur les nerfs.
- Et ce n’est pas en refusant de suivre ton traitement, que tu le vaincras ! puis tint son dossier médical par sa main gauche et le brandissait en colère en poursuivant, je croyais que t’étais l’une de mes patientes les plus courageuses et les plus déterminées à combattre cette maladie mais je me trompais.
La voix triste, elle s’écria.
- Je veux avoir un enfant !
Sans la perdre de regard, il hurla.
- Tu peux adopter un enfant si tu veux, mais enlève cette idée de grossesse de ta tête. Ta vie compte plus pour moi.
Énervée, elle s’écria.
- Je m’en fiche de ma vie…
Il lui coupa la parole, en tirant le papier sur lequel le résultat de sa radiographie était mentionné, puis en mettant son pouce sur une petite rondeur sur son sein gauche.
- Tu vois cette tâche anormale !
Sans prononcer le moindre mot, elle l’injecta d’un regard avide d’explications.
- Et ben, c’est une tumeur cancéreuse.
Elle ne put pour un moment parler puis un petit rire de révolte, l’emporta.
- Qu’est ce que vous voulez dire ? puis en prenant un long souffle, que le cancer a atteint mon sein gauche aussi…
En laissant retomber son dossier sur son bureau, il parla doucement.
- Et qu’on doit t’opérer le plutôt possible ! puis d’un ton ferme, une mastectomie est urgente !
Évidemment, Ghada ne s’attendait pas à une telle triste révélation. Elle se troubla et regarda son médecin avec des yeux noyés dans un fleuve de pleurs.
- Vous voulez m’enlever mon sein restant ?
En croisant ses doigts, il poursuivait.
- Ce n’est qu’une mastectomie partielle, qui devrait être accompagnée d’une chimiothérapie. Et en élargissant ses yeux noirs, tu dois reprendre ton traitement si tu désires augmenter tes chances de guérison, tu devrais t’opérer et entreprendre une chimiothérapie afin de détruire les cellules cancéreuses qui se seraient échappées de la tumeur principale.
Elle laissa un rire persiflant et morose glisser de ses lèvres, en criant.
- Une guérison à quel prix ? au point devenir un monstre ? t’imagine l’enfer et la peine d’une femme de vivre sans seins ?
- Une fois guérie, je t’enverrai à un bon ami à moi, c'est un chirurgien esthétique plasticien, il te fera des implantations et…
Elle lui coupa la parole, en poussant sa chaise et en se mettant debout.
- Et durant ce temps là, comment je fais pour avoir une vie sexuelle normale ? et les yeux gonflés de pleurs, tu ne sais pas ce que je ressens à chaque fois que je me déshabille devant mon mari, je vois son dégout et sa réticence quand ses yeux tombent sur mon sein déformé...
- Je sais ce que tu ressens madame Ghada…
Furibonde, elle s’écria.
- Non, tu ne sais pas ce que je ressens ! et en arrachant son sac à main posé sur le bureau, tu n’as pas le cancer ! et en mettant le sac sur son épaule, et tu n’es pas une femme !
Puis revient au présent, lorsque l’avion se mettait à atterrir. Borhen, la suivait d’un doux regard et dit en souriant.
- Nous voilà sur l’ile des rêves ! et en ingurgitant sa salive, t’es prête à rencontrer ta belle mère ?
En dessinant un faible sourire, elle murmurait.
- Oui, je crois !
Une fois qu’ils quittèrent l’aéroport de Djerba, c’était d’ailleurs vers 14H, ils prenaient un taxi pour les conduire jusqu’à la maison de retraite, qui se trouvait à une dizaine de kilomètres du centre ville.
Quand la voiture s’arrêta face à un vieil établissement, d’une architecture française remontant à la période de colonisation, Borhen paya la course du chauffeur et ouvrit sa porte en adressant la parole à Ghada.
- Nous voilà !
À son tour, elle poussa sa porte et se mettait debout en jetant un coup d’œil rapide sur ce grand établissement, qui ressemblait avec ses grand murs de bétons et ses petites fenêtres carrées avec des grilles de défense en fer forgé Mistral, à un bâtiment pénitentiaire.
- T’es sûr que c’est la maison de retraite ?
Il ferma la porte, et s’arrêta prés d’elle en riant.
- Et oui, plus que sûr ! et en mettant sa main sur son épaule, alors tu viens ?
Elle n’ajouta pas un mot et le suivit vers le portail entrouvert de l’établissement. Le gardien, un jeune homme trentenaire qui faisait une pause en fumant une cigarette sous un palmier, à quelques mètres devant la maison, jeta vite fait le bout restant et courut vers eux.
- Hey, hey ! où comptez-vous aller ?
Borhen, leva sur lui un regard sévère et dit.
- Voir un membre de notre famille.
L’homme, à la peau très mate, dit en s’arrêtant devant le portail.
- C’est l’heure de sieste des vieux ! revenez plus tard !
Essayant de se calmer, Borhen s’écria.
- Écoute-moi bien, on a fait un vol pour être ici ! alors soyez gentil et laisse nous entrer !
- Mon supérieur, m’a ordonné de ne laisser entrer personne à 14h !
Comme la diplomatie déployée s’était avérée inutile, Borhen, le poussa violemment avec la paume de sa main, et tira par le bras Ghada en disant.
- On y va ! on n’a pas de temps à perdre !
- Hey, vous vous prenez pour qui, connard !
s’écria le mec, en essayant de l’empêcher de pénétrer le grand jardin, où il n’y avait que quelques palmiers à droites et à gauches et des bancs en bois. En l’injectant d’un regard méprisant, Borhen s’écria.
- Je suis de la police !
La face du jeune homme jaunissait progressivement et traça un faux sourire en disant.
- Ah, la police ! vous êtes les bienvenus ! t’aurais dû me le dire dés le départ…
Sans perdre davantage du temps avec le gardien de l’établissement, ils se dirigèrent vers l’entrée. Une fois à l’accueil, ils ne trouvèrent personne, comme si le lieu fut déserté soudainement. Et au bout de dix minutes, une grosse dame de la quarantaine, en uniforme, sortit d’un bureau et ferma la porte derrière elle en leur adressant la parole.
- Qui vous a laissé entrer ? les visites sont interdites entre 13h et 15h.
- Bonjour madame, on est venu rendre visite à un membre de la famille. On a fait un long trajet jusqu’ici.
En essuyant ses mains avec une serviette, elle s’asseyait sur une chaise et dit en levant vers eux un regard sévère.
- Ah, oui, rendre visite ? et d’un air haineux, je me demande comment vous pouviez vivre en ayant la conscience tranquille en abandonnant un parent au lieu de vous en occuper vous-même !
Là, Ghada, un peu honteuse s’expliqua.
- C’est ma belle mère qui est ici ! et c’est mon mari qui la mise dans votre établissement.
La femme, leva sur elle un regard douteux puis dit en saisissant la liste nominative de tous les vieillards que la maison de retraite hébergeait.
- Elle s’appelle comment ?
Elle frotta son front pour s’en rappeler et dit.
- Dalanda je crois.
La femme souriait et dit.
- Tu crois ? tu n’es pas sûr.
Énervée, Ghada s’écria.
- Je ne l’ai jamais vu, il y a quelques mois, je croyais qu’elle était morte. Mon mari, ne m’a jamais parlé d’elle.
- Et tu veux maintenant faire sa connaissance.
- Oui !
La femme se contenta de la dévisager un petit moment, puis avec le doigt chercha le prénom de la femme, en disant.
- C’est Dalanda M’rad, c’est ça ?
Un petit sourire joyeux gagna sa frimousse.
- Oui, c’est elle !
La femme, poussa sa chaise en mettant sur le bureau la liste nominative puis dit.
- Suivez-moi.
Ils montèrent avec elle l’escalier, puis les suivirent en silence vers une chambre au fond du couloir. En mettant la main sur la poignée de la porte elle dit.
- Elle a la maladie d’Alzheimer.
- Ça on le sait ! s’écria Borhen.
En clignotant les yeux, elle continua.
- Et vous savez que c’est dans un stade avancé aussi ? puis en baissant la voix, ces jours-ci, elle se comporte comme étant une jeune fille de 16ans, je crois qu’elle revit son adolescence.
Puis entendit les cris coléreux de la vieille femme.
- Non, non ne me touche pas !
- S’il vous plaît, madame Dalanda ! laisse-moi faire ! s’écria une voix jeune de femme.
Un peu inquiète, la femme poussa la porte et Ghada et le détective derrière elle. Ils voyaient la vieille femme, les cheveux mouillés en sous vêtements, et prés d’elle une infirmière assise, tenant le sèche-cheveux. En voyant l’homme, la vieille qui avait les mêmes yeux de son fils, s’écria.
- Oh, tu n’as pas honte ! faites sortir cet homme indécent !
La grosse femme, le regarda à travers et dit.
- S’il te plait monsieur, sortez, vous la mettiez mal à l’aise.
Honteux, Borhen, sourit sans dire le moindre mot et sortit en fermant doucement la porte derrière lui. La femme de l’accueil, regarda la jeune infirmière et l’interrogea.
- Pourquoi elle criait ?
- Elle ne voulait pas me laisser lui sécher les cheveux.
La vielle femme, très mince, arracha le sèche-cheveux des mains de la jeune fille et hurla.
- Je ne suis plus un bébé, maman ! je peux le faire toute seule !
- Laisse la le faire tout seule Soumaya.
La vieille, au regard sacripant hurla.
- Ma mère s’appelle Aza.
La femme, sourit et dit gentiment.
- Excuse-moi Dalanda, je me suis trompée ! puis en cherchant de regard Ghada, t’as de la visite !
La vieille, femme, en essuyant ses cheveux très fins d’une couleur rougeâtre murmura.
- Qui êtes-vous ?
- Je m’appelle Ghada, et je suis la femme de ton fils !
- Mon fils ? s’écria la vieille étonnée, puis haussèrent ses pieds, et leva la face, furieuse, je ne suis pas mariée. Comment oses-tu me dire une chose pareille ?
La femme, regarda Ghada un bref moment et dit à voix très basse.
- Elle est dans un état de démence tu ne pourras rien tirer d’elle.
En ingurgitant sa salive tristement, Ghada s’écria.
- Laisse-moi seule avec elle quelques minutes, s’il te plaît.
- Comme tu veux !
Puis quitte avec infirmière la chambre. Une fois seule avec sa belle mère, elle s’assit prés d’elle et sortit une photo de son mari qu’elle gardait toujours sur son portefeuille.
- Regarde-le ! il te ressemble beaucoup.
La vieille femme, saisissait la photo entre ses minces doigts, puis en laissant ses yeux l’observer avec une bonne dose de nostalgie dans le regard.
- Il est vraiment beau !
Ghada, traça un agréable sourire et dit en pointant le doigt vers la photo.
- C’est Nader ton fils !
La vieille tourna la tête vers la fenêtre et dit d’une voix émue.
- Non, ce n’est pas mon fils !
En posant sa main sur l’épaule de sa belle mère, Ghada persistait.
- Mais si ! regarde le bien, tu vas t’en souvenir !
La vieille femme, jeta la photo par terre et se leva brusquement en se dirigeant vers l’armoire puis s’écria, en pleurant en même temps.
- Ce n’est pas mon fils !
Ghada, se leva et s’approcha d’elle en continuant.
- Je sais que tu l’en veux parce qu’il t’a abandonné.
Dalanda eut un léger mouvement avec la tête comme pour nier et dit dans une crise montante d’affolement, en avalant ses larmes.
- Ce n’est pas mon fils… et en laissant deux rides amères plisser sa petite bouche, Il a tué ma petite fille !