Le Monde d’hier soir a publié la presque totalité d’une lettre adressée à sa mère par Ingrid Betancourt , otage des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, extrême gauche) depuis bientôt cinq ans. De larges extraits avaient été publiés dans le quotidien colombien El Tiempo, sans l’accord de la famille. Dès lors, cette dernière a décidé de diffuser à tous ce message parce qu’il est à la fois intime et universel.
Sur douze pages, Ingrid Betancourt exprime son infinie lassitude, son découragement, son désespoir de vivre pis qu’un animal dans une jungle et parmi des hommes qui lui sont hostiles.
Ses mots sont bouleversants. Elle s’adresse, un à un, à tous ceux qu’elle aime et évoque à petits traits les pauvres souvenirs qui lui restent et l’aident à vivre. Elle parle d’elle-même, mais avec une infinie prudence. “Je vis ou survis dans un hamac tendu entre deux piquets, recouvert d’une moustiquaire et avec une tente au-dessus, qui fait office de toit et me permet de penser que j’ai une maison”.
Elle est en permanence sur le qui-vive pour les petits gestes quotidiens : “Avant, je profitais de chaque bain dans le fleuve. Comme je suis la seule femme du groupe, je dois y aller presque totalement vêtue : short, chemise, bottes.” Et la lectrice avertie ressent au plus profond d’elle-même cette inquiétude permanente et usante et la sombre pensée de ce qui pourrait se passer si sa vigilance se relâche.
L’enfermement, même en plein air, est une immense épreuve. “Je vais mal physiquement. Je ne me suis pas réalimentée, j’ai l’appétit bloqué, les cheveux me tombent en grande quantité. Je n’ai envie de rien. Je crois que c’est la seule chose de bien, je n’ai envie de rien car ici, dans cette jungle, l’unique réponse à tout est “non”. Il vaut mieux, donc, n’avoir envie de rien pour demeurer au moins libre de désirs.”
Elle pense à nous… “Je ne pourrais pas croire qu’il est possible de se libérer un jour d’ici si je ne connaissais pas l’histoire de la France et de son peuple. J’ai demandé à Dieu qu’il me recouvre de la même force que celle avec laquelle la France a su supporter l’adversité, pour me sentir plus digne d’être comptée parmi ses enfants. J’aime la France de toute mon âme, les voix de mon être cherchent à se nourrir des composantes de son caractère national, elle qui cherche toujours à se guider par principes et non par intérêts. J’aime la France avec mon coeur, car j’admire la capacité de mobilisation d’un peuple qui, comme disait Camus, sait que vivre, c’est s’engager”.
Pourvu qu’elle ne nous surestime pas…
“La vie ici n’est pas la vie, c’est un gaspillage lugubre de temps.”
Sauvons Ingrid Betancourt .