J'étais à Berlin pour couvrir l'inauguration du parc zoologique de Berlin-Est dans le parc du château de Friedrichsfelde. Le journal me logeait dans un hôtel anonyme mais en bon état, considérant les ruines qui encombraient encore le Berlin de 1955. La journée s'était relativement bien passée en regard des préventions qu'on m'avait prodiguées. Je n'avais pas perdu trop de temps aux différents checkpoints et les allemands de l'est ne semblaient pas outre mesure choqués qu'un évènement tel que cette inauguration soit couvert par une femme, juive qui plus est.
Je suis rentrée à l'hôtel un peu avant 18H et suis montée me rafraiîhir, changer de tenue - j'avais pris la précaution de me vêtir pauvrement pour passer inaperçue auprès des allemands de l'est, on m'avait prévenue que toute attitude trop occidentale paraissait vite provocante - mais j'avais avant tout besoin d'un verre. Je suis redescendue dans le salon, me suis trouvé une table et surtout une banquette large et confortable et j'ai commandé un Papa Hemingway en hommage à mon écrivain favori qui avait reçu le nobel l'année précédente. Je buvais lentement à la paille, laissant l'amertume du pamplemousse guider le rhum jusqu'à mes neurones aiguisés par la nervosité accumulée depuis le matin. Je jetai alors un oeil alentour et je le vis :Aucun doute c'était lui, on ne m'avait pas menti, le docteur VonSchrecklich était en vie et il prenait tranquillement un verre dans le même bar de ce même hôtel. Il ne donnait même pas l'impression de se cacher, de se préoccuper qu'on le reconnaisse. De son visage, de son attitude, tout respirait la sagesse et la sérénité d'un vieil homme qui profite de la vie après l'avoir dignement gagnée. Mais cet homme avait exterminé des familles entières. Il avait, pour la science nazie, pratiqué de nombreuse expériences contre nature. Il était la raison de ma présence à Berlin. J'attendis qu'il ait terminé son verre, qu'il ait enfilé son pardessus et se soit dirigé vers la sortie. Je finissai le mien et me lançai à sa poursuite. Il me facilitait la tâche en empruntant des rues parallèles, des chemins de traverse, souvent mal éclairés. J'attendais que nous soyons suffisamment éloignés du centre et des quartiers animés pour l'approcher. Je sortai mon révolver, un luger parabellum, le lui enfonçai dans la colonne vertébrale : "Herr Doktor VonSchrecklich? J'ai une proposition à vous faire de la part d'un ami que nous avons en commun, le Prince Zaminhoff".
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