Heureux ceux qui se déchargent de leur fardeau encombrant aussi aisément qu’ils vident la poubelle ! Ils s’en vont, allégés d’un grand poids, vers d’autres préoccupations autrement plus réjouissantes.
On ne pense pas assez souvent aux infortunés qui, au-delà de 48 heures, sentent avec appréhension leur gros intestin s’embouteiller sans espoir d’amélioration à court terme. Car si, sur l’autoroute, on peut s’échapper par une sortie parallèle, dans le cas qui nous occupe, une seule débouchée s’offre au coincé; or, lorsque celle-ci est obstruée, il a de grandes chances de se retrouver très vite dans le purin !
Bien que n’ayant pas fait d’étude approfondie, il semblerait que la tendance à l’engorgement soit un état plus féminin que masculin...
Contrairement aux idées reçues, une femme coincée ne se promène pas avec un balai dans le derrière mais se meut d’une démarche traînante, légèrement courbée, les deux mains fréquemment portées à son abdomen. Son visage tendu n’abhorrant aucune félicité, on en déduit qu’elle n’est pas enceinte mais plus vraisemblablement constipée !
Lors de votre dernier séjour à l’étranger, bien à l’aise dans votre hôtel, il est très probable que vous l’ayez rencontrée…
Souvenez-vous de cette jeune femme qui, se joignant avec quelques minutes de retard à la table familiale du petit déjeuner, s’assoit lourdement, répondant par une dénégation muette aux question que tous lui posent :
- - Alors ?
- - Rien ? T’es sûre ?
- - Tu n’as peut-être pas suffisamment essayé…
La pauvre… Ne voient-ils pas qu’elle a poussé à s’en faire éclater les veines du visage ? Et, par souci des convenances ainsi que des oreilles indiscrètes des tables voisines, elle tait l’excroissance douloureuse apparue lors de ses vains efforts…
Elle le sait, pourtant, qu’en dehors de son trône personnel, elle rechigne à se détendre sur des sièges étrangers n’épousant pas à la perfection les courbes de sa croupe ! Que n’a-t-elle emmenée cette eau miraculeuse qui, tant de fois, l’a sauvée de cet engorgement par trop incommodant !
A défaut, elle mastique, sous les regards moqueurs de ses familiaux quelques pruneaux rassis dont seules les plus nouées en acceptent la consommation. C’est avec humilité et compréhension que les encombrées font connaissance autour de ces fruits rabougris, se souhaitant dans une prière muette, bonne chance pour un dénouement heureux.
C’est au moment d’exposer son corps au soleil que l’infortunée mesure toute l’étendue de sa misère : Elle, si fière de son ventre parfait, voit alors surgir une panse digne des plus grands buveurs de bière. Les regards en coin des femelles alentours lui confirment qu’elles n’ont rien à lui envier; celui de son époux que l’heure est grave et qu’il faut agir :
- - Chérie, aux grands maux, les grands moyens !
Et il l’entraîne, à son corps défendant, vers la salle de sport où il lui garantit qu’après une séance intense de footing, elle propulsera son trop plein aussi facilement que mettre une lettre à la poste ! Elle n’y croit guère, mais lorsque quelques heures plus tard, elle sent son corps lui lancer des signaux reconnaissables, c’est avec espoir qu’elle confie à son compagnon :
- - Je crois que ça vient !
- - Courage ! Je sais que tu peux y arriver !
Que d’espérances réduites à néant lorsqu’elle lui annonce, penaude, que seules trois minuscules fèces se sont péniblement extraites de son tuyau malmené. D’un naturel très optimiste, il la félicite d’avoir fait sauter le bouchon, nul doute que les flots se déchaîneront prochainement !
- - En attendant, lui dit-il, mange des pruneaux, marche, saute, nage, inscris-toi au cours de danse du ventre, bouge ton corps, il te le rendra au centuple !
Pourtant, au cours des jours suivants, son corps ne lui rend rien du tout (ou si peu), elle se gave de pruneaux, ses muscles sont endoloris par les excès sportifs et surtout, elle jette un regard envieux à ses compagnons de voyage affectés par une dysenterie tant convoitée.
Enfin sur sa terre, à peine le pied posé sur son sol natal, son abdomen paresseux se réveille et fête comme il se doit le retour au bercail !
Dans un « Ah ! » de soulagement, elle vide son sac, surprise toutefois de la capacité de rétention corporelle.
Plein de sollicitude, son époux s’enquiert de son état :
- - Alors ? T’es débouchée ?
- - Complètement ! En revanche, on a un léger problème d’écoulement…