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La cuisine des nécessités Le billet de Nestor

Publié le 17 mai 2010 par Angèle Paoli
Le billet hebdomadaire de Nestor (29)

L'obscur n'a pas d'ennemis, des contradicteurs seulement. Il n'en est pas de même des lumières que l'on imagine.
Ph., G.AdC
LA CUISINE DES NÉCESSITÉS
Tu sais où ils veulent en venir, ils veulent savoir où tu vas, pas seulement dans ta vie : dans tous les sens. Fais-leur un pénultième aveu : il n’y a pas de réalité. Il n’y a que de l’inertie, plusieurs ou une seule inertie ranimée, aussi sournoise que la photo qui transmue ce qu’elle « montre » au moment même où elle le fige...
Illusion que de croire qu’en fuyant le destin d'autrui l’on bernera le sien.
Ce que tu vis aujourd'hui creuse le temps jusqu’à la lie, te le rendant en ce présent nu comme le double sans fard qui en lui viendra se réunir, passé dépris, avenir lu.
Les circonstances ont éparpillé les pièces, une main discrète a renversé l’échiquier... Que nul souffle ne vienne ternir le soir, ce ciel dépouillé, dur comme l’émail, les senteurs de jasmin et de cire chaude, l’air stérile, les reflets d’une lune tardive, le dôme nu, le silence...
Ô feu des anciens jours, regard incliné vers qui détourne, se déployant comme renvoyé, comme amoindri, illégitime, guettant déjà la mue de l’homme qui danse, de cet enfant en nous qui jamais ne trahira ce qu’il aurait pu ne pas cesser d’être...
Tu n’as rien oublié, mais n’es plus celui avec qui ils jouèrent, peau faite pour la caresse, la hâte, l’errance...
Comme ils te haïssent d’avoir su t’habiter toi-même, de n’avoir concédé au devenir que de te conduire où de toujours tu te tenais...
Rien ne vaut la rencontre, tout précède son dévoilement.
S’attarder sur les petits ponts qui, comme des paupières, couvent le sommeil des canaux, passer au travers des façades qui t’épient d’un œil immobile, obstinément refermé sur lui-même, sur ce présent opalin, sans contrats, sans références.
L’obscur n’a pas d’ennemis, des contradicteurs seulement. Il n’en est pas de même des lumières que l’on imagine.
Tout doit s’effacer, tout s’effacera. Le reste est indécence des seuils, babil...
Les choses ne sont-elles pas toujours disponibles quand tu les évoques pour les confronter, ne valent-elles pas ces ombres dont à la longue le cœur est devenu pour toi du lisse présent, sépulcre, sédiment loué, recul, bravade ?
Comment ne pas arriver à être ceux que, désormais, nous serons pour toujours, passant d'une pénombre à l’autre, la course du soleil nous rendant à nos fourmilières ?
Tous les hommes sont mortels, quelques-uns plus que d’autres.
Reviens à cette parole ensablée, toi qui nous portes vers qui sans frein détourne, mesure de la rumeur, trop lente à celer, trop faible pour être tue, trop docile pour être contenue...
Guérison dévoyée à moins tard, mordillant la claire douceur qui jamais ne se remit à un futur du temps...
Comment croire, sans déchirer le chant des sirènes qui attachent en dérobant, que cela eut lieu, à jamais ?
Secret du passage, dépossédant sans rien cacher...
Le monde ? Lequel, le mien, le sien, le tien, les variantes, les mensonges, les déformations ? Ou, mieux encore, les herbes folles, le pissenlit recouvrant le gravier du sentier, miroirs qui rapetissent sans déformer la réalité toujours anachronique...
Les retards ne t’avaient pas vieilli, seulement léché tes contradictions... Mais pas ces personnages qui s’apprêtent à se perdre dans des galeries que l'on sait sans issue, pas les propos, évanouis en cette phrase unique que tu ne sais plus répéter de tant la connaître, qui ne se peut abolir, que tu l’amendes ou la plies...
Ô villes sans résidus, semblables aux images d’enfant, les pignons tordus, l'obscurité assourdissant le creux des psaumes...
Face aux fourrés, aux odorantes frondaisons, c’étaient tes yeux, mais comme s’ils ne t’appartenaient plus, comme s’ils visaient déjà au-delà de l’horizon de ton vit dressé vers le ciel comme un sceptre, rassemblant d'un seul geste les nombres dispersés, la caverne imprécise où tout s’incurve, les lumières incertaines, le sens à peine connu ou, qui pis est, indifférent... Le profil depuis toujours familier, aiguisé encore par la mort, par les griefs passés, afflua dans tes veines, et les nuits offertes...
Qu’avancent ces heures sonnant en tous lieux, délivrées des causes, des fileuses, des verriers, des sentinelles, des miracles...
Brise la roue, si tu veux engendrer sans posséder qui tu engendres, la puissance qui arpente, qui jamais ne mésuse de ses griffes...
André Rougier
D.R. Texte André Rougier


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