«Elle est allongée tout contre son fils. Ils ont les yeux fermés, le souffle léger. L’enfant ronfle doucement. C’est une habitude, mauvaise peut-être diront les psys, mais eux, ils en ont cure, c’est la guérilla. Qu’il aille donc faire ailleurs dans son froc, papa Freud !
Ils dorment ensemble depuis qu’on a ramené le cadavre de leur mari et père, sans la tête. Décapité. Vengeance, trahison ou erreur, nul ne le sait. Ils ne sont pas partis du village vers la ville, comme tant d’autres. Ils sont restés avec les deux petits vieux.
Mara porte une longue tunique rouge. Elle pourrait ressembler à une femme fatale d’un film planétaire à gros budget si elle ne se blottissait apeurée contre son petit homme de huit ans. Ils se recroquevillent l’un contre l’autre, en cuillère, dans leur lit étroit. Ils sont beaux. J’admire leurs traits indiens qui me rappellent les statues Taïno et une civilisation perdue.
Mara se réveille soudain, affolée par une absence et le vide à ses côtés. Son fils a disparu. Elle se lève brusquement, ses pieds foulent le plancher chaud. Il doit être dans la cuisine et s’abreuver. Des gouttes de sueur se glissent, sensuelles, dans son décolleté. Elle ne respire plus et n’entend plus les bruits familiers de la jungle mais seulement un sifflement aigu et continu. Elle voudrait fracasser sa tête contre le mur pour qu’il s’arrête.
Elle ouvre la porte d’un placard, son enfant sage est là, debout, avec un livre. Il lui dit des mots qu’elle ne reconnaît pas. Elle a cette pensée bête : mais comment fait-il pour lire en pleine nuit ? C’est qu’il ne lit pas : tout d’un coup, son corps s’effondre en un seul bloc. Elle manque de rire. C’est seulement là qu’elle voit le couteau dressé dans son dos.
Elle ouvre la bouche mais nul cri n’en sort. Elle se retourne. L’homme la regarde, il me ressemble. Elle s’abandonne aux coups répétés du couteau. »
Moi, je suis en nage dans un lit inconnu et je hurle à réveiller les morts…