Quatorze

La vue depuis la grande fenêtre du salon est de plus en plus déprimante. Depuis deux semaines que les nuages s'amoncellent et mélangent les averses et le brouillard dans une sorte de triste mélasse grisâtre, il sort peu. Le délabrement du quartier qu'il observe depuis le cinquième étage du vieil immeuble qu'il habite résonne d'une curieuse façon dans ce gris ambiant, comme la pulsation générée par la lumière de ces vieux films en noir et blanc. Finalement, profitant d'une accalmie pluviométrique, il sort. - Il sort? - Oui, il sort. - Mais ne va-t-il pas prendre froid? On lui a mis un petit paletot? - On va lui demander. "Oui, j'ai pris mon imperméable et j'ai mis un pullover".  Là, dans la grisaille de la rue, vu d'en bas, son immeuble a plutôt bonne mine en regard du reste du quartier. Cette vision et l'idée qui s'en propage lui donne envie de fêter ça : les occasions sont rares depuis quelques mois de se féliciter de quoi que ce soit. Et puis pour une fois qu'il est dehors.Il doit cependant marcher longtemps avant de trouver un endroit ouvert - Ha bon? Pourquoi ça? - Et bien pour commencer il ne fait pas beau. Et on doit être dimanche. Et c'est l'heure creuse de l'après-midi. On pourrait énumérer les bonnes raisons ici, ce n'est pas très important. Il marche longtemps et se rend finalement au bistrot de la gare où il s'installe à une table et commande un demi. En patientant il regarde les trains qui quittent le quai et ceux qui entrent en gare. On sent bien qu'il va finir par grimper dans l'un d'eux. Cela se voit, il a besoin de soleil.Le premier train qu'il peut prendre le dépose là, sur cette plage où l'attend, ultime et digne récompense, le soleil. - Sur une plage hein? un train? - Oui faites un effort. On peut prendre des raccourcis dans une histoire non? - D'accord. Mais le soleil? Sur cette plage? - Et bien oui, regardez.
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