À huit ans, mon frère m’a permis d’utiliser sa bicyclette qui n’avait plus les deux petites roues pour l’aider à garder l’équilibre. Il m’a poussé, le pneu avant a percuté le trottoir, je suis tombée, je me suis écorché le genou, j’ai pleuré, je n’ai rien dit à mes parents, je suis remontée et j’ai appris toute seule. L’été suivant, j’ai eu ma première bicyclette de fille. J’étais libre, je pouvais aller plus loin, plus vite.
À 18 ans, je faisais fabriquer le premier vélo dix vitesses, de fille. À Montréal chez un marchand italien. Je l’ai rapporté chez moi à Ville Saint-Laurent, j’apprenais à connaître les dangereuses rues de la ville. J’ai longé les routes vers Sorel, vers Saint-Jérôme, vers l’Outaouais. À 19 ans, lors d’une grève des autobus, j’ai préféré le vélo au pouce. Une heure pour me rendre à l’école normale. Mon épaule est entrée directement dans une portière ouverte, j’ai saigné, j’ai ravalé et j’ai appelé mes parents pour qu’ils viennent me chercher. Le lendemain, je remontais et retournais à l’école.
À 20 ans, j’ai traversé l’Irlande et le pays de Galles en vélo. Des vallées et des montagnes, des villages et des champs. Sans le moindre accroc sinon quelques broches à remplacer sur les roues et quelques égratignures aux mollets.
À 38 ans, une collègue professeure se promenait en fin d’après-midi, sur un accotement en gravier, son vélo a fait une embardée, elle est tombée, sa tête a heurté une roche. Quelques heures plus tard, elle fut débranchée. Je n’ai jamais oublié. De ce jour, j’ai toujours porté mon casque, j’ai toujours regardé les accotements avec crainte et nervosité. Encore aujourd’hui, j’hésite à me promener en dehors des pistes cyclables si rares.
Saura-t-on jamais les raisons qui font qu’une personne vit et l’autre meurt? Tout n’est pas inscrit dans la prudence ou la chance. Tout n’est peut-être pas inscrit nulle part.
Chose certaine s’il y a pétition pour paver les accotements de toute la province et même de toute l’Amérique, montrez-la-moi, je la signe tout de suite.