Thé à la menthe ou t'es citron

Publié le 20 mai 2010 par Sophiel

Ce soir, les applaudissements ont encore claqué. Comme  à leur habitude, ils se sont donnés la main pour saluer le public, leurs regards ont croisé brièvement ceux des spectateurs, le rideau s’est refermé, le silence est retombé.

Dans la salle vidée de ses occupants, une jeune femme est assise, seule.

Elle fixe sans ciller le tissu rouge immobile lui aussi.

Elle essuie distraitement quelques gouttes de sueur sur son front, regrettant que la chaleur étouffante du théâtre l’ait empêchée de profiter pleinement du spectacle.

Elle a souri, elle a même ri parfois mais la proximité incommodante de tous ces étrangers l’a dérangée.

Elle ne s’est jamais sentie très à l’aise au milieu de ces foules remuantes et bruyantes, pourtant, elle adore aller au théâtre.

Ce soir, elle a réservé une place dans l’orchestre. Elle est arrivée très en avance et a pu s’installer parmi les premières. L’ouvreuse l’a placée avec déférence, refusant la pièce qu’elle lui tendait. Elle n’a fait aucun commentaire, elle a l’habitude…

La salle s’est remplie peu à peu, le bruit s’est intensifié, les odeurs se sont mélangées, les corps de ses voisins l’ont effleurée, elle a senti dans sa bouche le goût de la bile.

Un moment, elle a pensé à se lever pour partir. Le regard qu’elle sentait insistant de l’homme assis à sa droite l’en dissuada. Les lumières se sont enfin éteintes, elle se laissa aller pour profiter pleinement de la pièce.

C’est son père qui lui en a parlé. Il l’avait vue avec une amie quelques jours auparavant :

  • -   Vas-y, lui a-t-il dit, le texte est drôle, le ton juste, les personnages parfaitement identifiables. Je peux t’y accompagner si tu veux.

Elle a failli accepter. Elle aime beaucoup sortir avec lui. Il l’entoure de son bras affectueux tout en lui tenant fermement la taille. Souvent, il lui a raconté en riant les regards interrogateurs des passants qu’ils croisent, pourtant, personne ne leur a jamais fait de remarques. Elle le regrette, cela fait longtemps qu’elle a une réponse…

Pour finir, elle a refusé.

Mathieu l’a conduite jusqu’au théâtre, l’installant à sa place en lui promettant de venir la chercher à 22h30.

La pièce a débuté, elle a ajusté ses lunettes et elle a écouté.

Le sujet lui a tout de suite plu : Cette troupe de comédiens aux talents incertains qui répètent une pièce jusqu’au jour de la catastrophique première, oui, son père a eu raison de la lui conseiller.

Ne serait-ce la chaleur, elle en aurait fini par tout oublier et voir pleinement les comédiens.

La moiteur de son corps sèche peu à peu, l’air devient plus respirable. Le silence est presque aussi assourdissant que les applaudissements. Elle pourrait se lever et gagner la sortie, mais Mathieu le lui reprocherait :

  • -   Et s’il t’était arrivé quelque chose ? lui dirait-il.
  • -   Que veux-tu qu’il m’arrive ? Je ne suis pas en sucre !

Alors, elle l’a attendu.

Mathieu est là. Elle ne l’a pas entendu arriver, ce qui ne laisse pas de la surprendre.

  • -   Alors, c’était bien ?
  • -   Oui. Ca t’aurait plu.
  • -   On rentre ?
  • -   Ok.
  • -   Tu veux ta canne ?
  • -   Non, ton bras me suffit.

L’écrivain posa sa plume, étudia la photo en pensant que décidemment, son récit n’avait aucun rapport, à part, peut-être la théière qui, par une curieuse association d’idées l’avait menée au théâtre en compagnie d’une jeune aveugle.

Ceci est ma participation aux Jeux d’Ecriture n°4.