Les dons du Saint-Esprit (Dom
Géranger)
3). Le Don de Conseil
Le don de Force dont nous avons reconnu la nécessité dans l’œuvre de la sanctification du chrétien, ne suffirait pas pour assurer ce grand résultat, si le divin Esprit n’avait pris soin de l’unir à un autre don qui vient à la suite et prévient tout danger. Ce nouveau bienfait consiste dans le Don de Conseil. La Force ne saurait être laissée à elle seule : il lui faut un élément qui la dirige. Le don de Science ne pourrait être cet élément, parce que s’il éclaire l’âme sur sa fin, et sur les règles générales de la conduite qu’elle doit tenir, il n’apporte pas une lumière suffisante sur les applications spéciales de la loi de Dieu et sur le gouvernement de la vie.
Dans les diverses situations où nous pouvons être placés, dans les résolutions que nous pouvons avoir à prendre, il est nécessaire que nous entendions la voix de l’Esprit-Saint, et c’est par le don de Conseil que cette voix divine arrive jusqu’à nous. C’est elle qui nous dit, si nous voulons l’écouter, ce que nous devons faire et ce que nous devons éviter, ce que nous devons dire et ce que nous devons taire, ce que nous pouvons conserver et ce à quoi nous devons renoncer. Par le don de Conseil, l’Esprit-Saint agit sur notre intelligence, de même qu’il agit sur notre volonté par le don de Force.
Ce don précieux s’applique à la vie entière ; car il nous faut sans cesse nous déterminer pour un parti ou pour l’autre, et ce nous est un grand sujet de reconnaissance envers l’Esprit Divin, de penser qu’il ne nous laisse jamais à nous-mêmes, tant que nous sommes disposés à suivre la direction qu’il nous imprime. Que de pièges il peut nous faire éviter ! Que d’illusions il peut détruire en nous ! Que de réalités il nous découvre ! Mais pour ne pas perdre ses inspirations, il nous faut nous garder de l’entraînement naturel qui nous détermine trop souvent peut-être, de la témérité qui nous emporte au gré de la passion, de la précipitation qui nous sollicite de juger et d’agir, lors même que nous n’avons vu encore qu’un côté des choses, de l’insouciance enfin qui fait que nous nous décidons au hasard, dans la crainte de nous fatiguer par la recherche de ce qui serait le meilleur.
Le Saint-Esprit, par le don de Conseil, arrache l’homme à tous ces inconvénients. Il réforme la nature si souvent excessive, quand elle n’est pas apathique. Il tient l’âme attentive à ce qui est vrai, à ce qui est bon, à ce qui lui est vraiment avantageux. Il lui insinue cette vertu qui est le complément et comme l’assaisonnement de toutes les autres, nous voulons dire la discrétion dont il a le secret, et par laquelle les vertus se conservent, s’harmonisent et ne dégénèrent pas en défauts. Sous la direction du don de Conseil, le chrétien n’a rien à craindre ; l’Esprit-Saint prend sur lui la responsabilité de tout. Qu’importe donc que le monde blâme ou critique, qu’il s’étonne ou se scandalise ! Le monde se croit sage ; mais il n’a pas le don de Conseil.Mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes voies ne sont pas vos voies » [Isaïe LV, 8]. De là vient que souvent les résolutions prises sous son inspiration aboutissent à un but tout autre que celui qu’il s’était proposé. Et il en devait être ainsi ; car c’est à lui que le Seigneur a dit : «
Appelons donc de toute l’ardeur de nos désirs le Don Divin qui nous préservera du danger de nous gouverner nous-mêmes ; mais comprenons que ce Don n’habite que dans ceux qui l’estiment assez pour se renoncer en sa présence. Si l’Esprit-Saint nous trouve détachés des idées humaines, convaincus de notre fragilité, il daignera être notre Conseil ; de même que si nous étions sages à nos propres yeux, il retirerait sa lumière et nous laisserait à nous-mêmes.
Nous ne voulons pas qu’il en arrive ainsi pour nous, ô Divin Esprit ! Nous savons trop par notre expérience qu’il ne nous est pas avantageux de courir les hasards de la prudence humaine, et nous abdiquons sincèrement devant vous les prétentions de notre esprit si prompt à s’éblouir et à se faire illusion. Conservez en nous et daignez y développer en toute liberté ce don ineffable que vous nous avez octroyé dans le Baptême : soyez pour toujours notre Conseil. « Faites-nous connaître vos voies, et enseignez-nous vos sentiers. Dirigez-nous dans la vérité et instruisez-nous ; car c’est de vous que nous viendra le salut, et c’est pour cela que nous nous attachons à votre conduite » [Psaume CXVIII]. Nous savons que nous serons jugés sur toutes nos œuvres et sur tous nos desseins ; mais nous savons aussi que nous n’avons rien à craindre tant que nous sommes fidèles à votre conduite. Nous serons donc attentifs « à écouter ce que dit en nous le Seigneur notre Dieu » [Psaume. LXXXIV, 9], l’Esprit de Conseil, soit qu’il nous parle directement, soit qu’il nous renvoie à l’organe qu’il a voulu choisir pour nous. Soit donc béni Jésus qui nous a envoyé son Esprit pour être notre conducteur, et soit béni ce divin Esprit qui daigne nous assister toujours, et que nos résistances passées n’ont pas éloigné de nous !
4). Le don de force
Le don de Science nous a appris ce que nous devons faire et ce que nous devons éviter pour être conformes au dessein de Jésus-Christ notre divin chef. Il faut maintenant que l’Esprit-Saint établisse en nous un principe duquel nous puissions emprunter l’énergie qui devra nous soutenir dans la voie qu’il vient de nous montrer. Nous devons en effet compter sur des obstacles, et le grand nombre de ceux qui succombent suffit à nous convaincre du besoin que nous avons d’être aidés. Le secours que le divin Esprit nous communique est le Don de Force, par lequel, si nous sommes fidèles à l’employer, il nous sera possible et même aisé de triompher de tout ce qui pourrait arrêter notre marche.
Dans les difficultés et les épreuves de la vie, l’homme est tantôt porté à la faiblesse et à l’abattement, tantôt poussé par une ardeur naturelle qui a sa source dans le tempérament ou dans la vanité. Cette double disposition avancerait peu la victoire dans les combats que l’âme doit livrer pour son salut. L’Esprit-Saint apporte donc un élément nouveau, cette force surnaturelle qui lui est tellement propre que le Sauveur, instituant ses Sacrements, en a établi un qui a pour objet spécial de nous donner ce divin Esprit comme principe d’énergie. Il est hors de doute qu’ayant à lutter pendant cette vie contre le démon, le monde et nous-mêmes, il nous faut autre chose pour résister que la pusillanimité ou l’audace. Nous avons besoin d’un don qui modère en nous la peur, en même temps qu’il tempère la confiance que nous serions portés à mettre en nous-mêmes. L’homme ainsi modifié par le Saint-Esprit vaincra sûrement ; car la grâce suppléera en lui à la faiblesse de la nature, en même temps qu’elle en corrigera la fougue.
Deux nécessités se rencontrent dans la vie du chrétien : il lui faut savoir résister et savoir supporter. Que pourrait-il opposer aux tentations de Satan, si la Force du Divin Esprit ne venait le couvrir d’une armure céleste et aguerrir son bras ? Le monde n’est-il pas aussi un adversaire terrible, si l’on considère le nombre des victimes qu’il fait chaque jour par la tyrannie de ses maximes et de ses prétentions ? Quelle ne doit pas être l’assistance du divin Esprit, lorsqu’il s’agit de rendre le chrétien invulnérable aux traits meurtriers qui font tant de ravages autour de lui ?
Les passions du cœur de l’homme ne sont pas un moindre obstacle à son salut et à sa sanctification : obstacle d’autant plus redoutable qu’il est plus intime. Il faut que l’Esprit-Saint transforme le cœur, qu’il l’entraîne même à se renoncer, lorsque la lumière céleste indique une autre voie que celle vers laquelle nous pousse l’amour et la recherche de nous-mêmes. Quelle Force divine ne faut-il pas pour « haïr jusqu’à sa propre vie », quand Jésus-Christ l’exige [Jean. XII, 25], quand il s’agit de faire le choix entre deux maîtres dont le service est incompatible [Matthieu VI, 24] ? L’Esprit-Saint fait tous les jours de ces prodiges au moyen du don qu’il a répandu en nous, si nous ne méprisons pas ce don, si nous ne l’étouffons pas dans notre lâcheté ou dans notre imprudence. Il apprend au chrétien à dominer ses passions, à ne pas se laisser conduire par ces guides aveugles, à ne céder à ses instincts que lorsqu’ils sont conformes à l’ordre que Dieu a établi.
Quelquefois ce divin Esprit ne demande pas seulement que le chrétien résiste intérieurement aux ennemis de son âme ; il exige qu’il proteste ouvertement contre l’erreur et le mal, si le devoir d’état ou la position le réclament. C’est alors qu’il faut braver cette sorte d’impopularité qui s’attache parfois au chrétien, et qui ne doit pas le surprendre quand il se rappelle les paroles de l’Apôtre : « Si j’étais agréable aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ » [Galates I, 10]. Mais l’Esprit-Saint ne fait jamais défaut, et lorsqu’il rencontre une âme résolue à user de la Force divine dont il est la source, non seulement il lui assure le triomphe, mais il l’établit pour l’ordinaire dans cette paix pleine de douceur et de courage qu’apporte la victoire sur les passions.
Telle est la manière dont l’Esprit-Saint applique le don de Force au chrétien, lorsque celui-ci doit s’exercer à la résistance. Nous avons dit que ce précieux don apportait en même temps l’énergie nécessaire pour supporter les épreuves au prix desquelles est le salut. Il est des frayeurs qui glacent le courage et peuvent entraîner l’homme à sa perte. Le don de Force les dissipe ; il les remplace par un calme et une assurance qui déconcertent la nature. Voyez les martyrs, et non pas seulement un saint Maurice, chef de la légion Thébaine, accoutumé aux luttes du champ de bataille, mais ces Félicité, mère de sept enfants, ces Perpétue, noble dame de Carthage pour laquelle le monde n’avait que des faveurs ; ces Agnès, enfant de treize ans, et tant de milliers d’autres, et dites si le don de Force est stérile en sacrifices. Qu’est devenue la peur de la mort, de cette mort dont la seule pensée nous accable parfois ? Et ces généreuses offrandes de toute une vie immolée dans le renoncement et les privations, afin de trouver Jésus sans partage et de suivre ses traces de plus près ! Et tant d’existences voilées aux regards distraits et superficiels des hommes, existences dont l’élément est le sacrifice, où la sérénité n’est jamais vaincue par l’épreuve, où la croix toujours renaissante est toujours acceptée !
Quels trophées pour l’Esprit de Force ! Que de dévouements au devoir il sait produire ! Et si l’homme à lui seul est peu de chose, combien il grandit sous l’action de l’Esprit-Saint ! C’est lui encore qui aide le chrétien à braver la triste tentation du respect humain, l’élevant au-dessus des considérations mondaines qui dicteraient une autre conduite. C’est lui qui pousse l’homme à préférer au vain honneur du monde la joie de n’avoir pas violé le commandement de son Dieu. C’est cet Esprit de Force qui fait accepter les disgrâces de la fortune comme autant de desseins miséricordieux du ciel, qui soutient le courage du chrétien dans la perte si douloureuse d’êtres chéris, dans les souffrances physiques qui lui rendraient la vie à charge, s’il ne savait qu’elles sont des visites du Seigneur. C’est lui enfin, comme nous le lisons dans la Vie des saints, qui se sert des répugnances mêmes de la nature, pour provoquer ces actes héroïques où la créature humaine semble avoir franchi les limites de son être pour s’élever au rang des esprits impassibles et glorifiés.
Esprit de Force, soyez toujours plus en nous, et sauvez-nous de la mollesse de ce siècle. A aucune époque l’énergie des âmes n’a été plus affaiblie, l’esprit mondain plus triomphant, le sensualisme plus insolent, l’orgueil et l’indépendance plus prononcés. Savoir être fort contre soi-même, est une rareté qui excite l’étonnement dans ceux qui en sont témoins : tant les maximes de l’Évangile ont perdu de terrain ! Retenez-nous sur cette pente qui nous entraînerait comme tant d’autres, ô divin Esprit ! Souffrez que nous vous adressions en forme de demande les vœux que formait Paul pour les chrétiens d’Éphèse, et que nous osions réclamer de votre largesse « cette armure divine qui nous mettra en état de résister au jour mauvais et de demeurer parfaits en toutes choses. Ceignez nos reins de la vérité, couvrez-nous de la cuirasse de la justice, donnez à nos pieds l’Évangile de paix pour chaussure indestructible ; munissez-nous du bouclier de la foi, contre lequel viennent s’éteindre les traits enflammés de notre cruel ennemi. Placez sur notre tête le casque qui est l’espérance du salut, et dans notre main le glaive spirituel qui est la parole même de Dieu » [Ephésiens VI, II-17], et à l’aide duquel, comme le Seigneur dans le désert, nous pouvons venir à bout de tous nos adversaires. Esprit de Force, faites qu’il en soit ainsi.