Magazine Nouvelles

(4) Le papyrus de la Bastille

Publié le 20 mai 2010 par Luisagallerini

Ses yeux brillaient de curiosité, et dans son élan, il s'empara de sa main. Marie sursauta aussi vivement que sous la piqûre d'un insecte, retirant aussitôt sa main.

- Excusez-moi, bredouilla-t-elle, confuse d'avoir réagi ainsi. Pour répondre à votre question, l'amulette était à moitié enfoncée dans un large rouleau, d'environ quatre fois mon doigt, précisa-t-elle en brandissant son majeur avant de s'empourprer en changeant précipitamment de doigt. Pardon, je suis désolée, vraiment, je ne voulais pas... Il y avait aussi, reprit-elle en balbutiant, une bandelette. Malheureusement, elle est presque entièrement partie en poussière. Le rouleau et la bandelette, enfin ce qu'il en reste, sont chez moi.

- Vous avez déroulé le papier ?

- Le papier ? Ce n'est pas un papier, c'est plutôt une toile rigide, comme de la paille.

- Un papyrus, vous voulez dire ?

Marie souffla de stupeur dans son chocolat froid, tapissant la veste de Philippe de cacao. Perdus dans leurs pensées, ni l'un ni l'autre n'y prêtèrent attention. Philippe se tortillait sur sa chaise, ne sachant comment suggérer à la jeune femme de l'inviter chez elle, après l'avoir bêtement effarouchée en lui prenant la main. Marie, de son côté, se morfondait à l'idée de ne pas avoir pensé à déplier le rouleau, qui ressemblait effectivement bien à un papyrus.

Après un verre de vin cuit, Marie, qui n'avait plus l'esprit très clair, proposa à Philippe de la raccompagner. Ce dernier, impatient de découvrir le mystérieux papyrus, s'empressa d'accepter. Ils sortirent du café et se dirigèrent vers la borne de taxis. Dans la fraîcheur nocturne, les doutes de Marie l'assaillirent à nouveau. Elle ramenait un inconnu chez elle, un homme dont elle ne savait finalement rien. Derrière son sourire angélique pouvait se dissimuler une crapule de la pire espèce, un détrousseur, un maniaque sexuel ou pire encore, un psychopathe. Heureusement, l'alcool qui avait balayé toute forme de prudence et de bienséance, prit à nouveau possession de son esprit dans la chaleur étouffante du véhicule. Lorsqu'ils arrivèrent chez elle, son effet ne s'était toujours pas dissipé :

- Voilà ! s'exclama Marie, en tendant le cylindre en plastique d'une main tremblante.

- Incroyable ! C'est un véritable papyrus ! s'écria Philippe en ouvrant l'emballage avec précaution.

Marie défaillit de joie. Elle bondit dans la cuisine et revint avec un plateau, un jus de fruit, une bouteille d'eau et deux verres, dont l'un était un ancien pot de moutarde et l'autre, de pâte à tartiner

(4) Le papyrus de la Bastille

.

- Mettez-vous à l'aise, servez-vous à boire, proposa-t-elle en souriant. J'ai juste une petite recherche à faire sur Internet. Ensuite, je suis à vous !

Encore une phrase malheureuse, qui déclencha chez elle un raclement de gorge nerveux. Après s'être assurée que Philippe n'avait d'yeux que pour le papyrus, elle se hâta d'allumer l'ordinateur. Elle eut rapidement confirmation qu'il y avait bien eu une gare sur la place de Bastille. Inaugurée en 1859, elle avait été démolie en 1982, pour être remplacée par l' Opéra Bastille.

- La gare de la Bastille existait bien au 19ème siècle, soupira-t-elle, mais les dates ne coïncident pas. Elle a été construite trop tôt et détruite trop tard.

Philippe, qui examinait le papyrus, répondit dans un grommellement inaudible. Rassurée de voir qu'un simple rouleau l'intéressait bien plus que sa personne, elle reprit ses recherches. Parmi les nombreuses anecdotes qu'elle consulta, le rocambolesque projet, caressé par Napoléon, d'édifier un gigantesque éléphant au milieu de la place

(4) Le papyrus de la Bastille

, lui arracha un claquement sec de la langue. Le monstre devait ouvrir ses entrailles aux parisiens

(4) Le papyrus de la Bastille

, tandis qu'une tour, perchée sur son dos, devait abriter la machinerie hydraulique nécessaire au bon fonctionnement de la trompe, transformée en fontaine à eau. L'entreprise, trop onéreuse, ne fut jamais menée à terme

(4) Le papyrus de la Bastille

. Pourtant, un modèle grandeur nature fut construit, engloutissant à lui seul près de cent cinquante mille francs. Battu par la pluie et le vent, le pachyderme en plâtre termina son existence comme résidence privilégiée des rats du quartier.

- J'ai trouvé ! s'exclama-t-elle soudain. Écoutez ça : le boulevard Henri IV, qui relie le quai des Célestins à la place de la Bastille, a été percé en 1866 et notre amulette date de 1865. Formidable, non ?

" Notre amulette "... Voilà qu'elle employait le " nous " collectif, propriété exclusive du couple. Elle se mordit les lèvres, espérant qu'il n'allait pas y voir un quelconque appel du pied. L'air grave, Philippe quitta le rouleau des yeux.

- Je ne peux pas m'avancer, déclara-t-il comme s'il se souvenait subitement de la présence de Marie. Il me faudrait analyser le papyrus en laboratoire, le dérouler entièrement et le nettoyer, pour en lire le contenu, si par miracle il est écrit. Me laisseriez-vous l'emporter, avec la bandelette ?

Le " nous " mythique était tombé dans l'oreille d'un sourd. Comme toute bonne âme qui fait le premier pas et essuie un refus, Marie s'en sentit paradoxalement froissée.

- Vous pensez qu'il est plus ancien que l' amulette ? s'enquit-elle d'un ton pincé.

- Beaucoup plus ancien... Mais mon premier jugement me semble si extravagant que je préférerais procéder à des analyses complémentaires, pour ne pas tirer de conclusion hâtive. Disons que l'on voit toujours ce que l'on aimerait voir.

- C'est à dire ? qu'aimeriez-vous voir ? Une... antiquité ?

Dans le prochain épisode, vous apprendrez comment construire une barque pour traverser le Nil, ou barboter sur la Dordogne...

Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazines