Magazine Journal intime

La goélette d'Ange cinglait sur le bleu...

Publié le 21 mai 2010 par Araucaria

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/44/Star_Clipper.jpg/800px-Star_Clipper.jpg
Photo trouvée sur le net
Quand son ange de mer était au large, Jeanne aimait par-dessus tout se tenir droite sur la grève par un bon vent d'ouest un peu frais qui balayait ses jupes et libérait des mèches blondes sous sa coiffe. Elle aimait ce vent qui la faisait pleurer malgré elle et lui fouettait le sang. Elle respirait le large, comme pour engloutir l'horizon. Elle pouvait rester des heures à imaginer une étrave dans la houle et son Ange  derrière la barre à roue qui ne pensait qu'à elle, bien sûr. Elle connaissait les quais de Buenos Aires, de Veracruz et même les mouillages du Sud, vers la Terre de Feu. Elle savait tout de Punta Arenas et de La Felicidad de la Vida, un bar où les joueurs de couteaux s'étripaient pour des femelles mapuches indociles. Un bar mal famé où les chasseurs de baleines ivres jouaient leur solde d'une saison de pêche. Il y avait des chercheurs d'or qui ne cherchaient rien, des éleveurs de chevaux qui n'avaient plus de chevaux et qui regardaient, hagards, les mustangs sauvages galoper sur les grèves. Il y avait aussi des Indiens qui se tuaient au mauvais alcool ou qui crevaient de froid sous une barque retournée. Ange n'avait jamais vu les Patagons ni les Fuégiens mais entre les Magallanes il avait vu des "sauvages" sur les canots d'écorce qui grattaient les coquillages avec des pierres aiguisées. Ils se sauvaient à l'approche du navire. Elle savait aussi les glaces dans les haubans, les mains déchirées, les lèvres éclatées et ce vent du bout de la terre qui hurlait dans la voilure. Du côté des Marquises, la goélette d'Ange cinglait sur le bleu vers ces îles en chapelet, comme des baleines échouées, "sur le dos desquelles chantaient des filles nues". C'est lui qui disait ça. Le bateau d'Ange avait mouillé dans une baie près d'un navire qui recherchait deux déserteurs, dont un certain Melville. Plus tard, Jeanne avait lu Taïpi.
Bernard Giraudeau - Les hommes à terre - Jeanne - POINTS n° P2111 -

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Araucaria 31 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog

Magazine