Noam Chomsky, qui sera bientôt à Paris pour plusieurs conférences, débats, rencontres etc. est avant tout l’un des esprits majeurs de ce siècle dans le domaine des sciences humaines (qui englobe, bien entendu, la linguistique) au même titre qu’un Levi-Strauss. Il se double d’un remarquable polémiste, penseur politique et philosophe de l’esprit, ce qui l’inscrit dans la lignée d’un Bertrand Russell, présidant dans les années soixante le Tribunal International des crimes de guerre commis au Vietnam. Mais « Le Monde » le présente avant tout comme « une idole de la contre-culture américaine », comme une vulgaire pop-star. La formulation apparaît dans un article où « le Monde » relate (comme il le ferait d’une anecdote pittoresque concernant une personnalité du show-biz) le fait que Chomsky ait été bloqué à la frontière israélienne, alors qu’il devait se rendre à l’université Bir Zeit de Ramallah pour y donner un cours. Le plus étonnant dans cette histoire, et relativement drôle, est que l’auteur de l’article se perd en conjectures sur les raisons qui ont bien pu pousser le célèbre linguiste à, finalement, rester modeste face à cet incident, (car bien entendu, il est loin être le seul à avoir souffert de ce genre de limitation). Ainsi, le non événement fait l’événement et « le Monde « tirera sans doute la conclusion que cette « figure de la vie intellectuelle de la gauche américaine » est décidément bien imprévisible, donc, n’est-ce pas, assez peu fiable…. En d’autres temps, « Le Monde » avait taxé Chomsky « d’esprit sulfureux ». Est-on sulfureux dès qu’on est tant soit peu attaché à la vérité, etexigeant sur le respect des droits humains ?
Bertrand Russell