Magazine Journal intime

Leonardo Cremonini, une fenêtre qui se ferme

Publié le 22 mai 2010 par Alainlecomte

cremonini-2.1274511819.jpgDepuis plusieurs jours, à la page nécrologie du Monde, je vois figurer le nom de Leonardo Cremonini , peintre admiré des années soixante-dix. Je me souviens d’une exposition de ses œuvres qui eut lieu à Grenoble en 1983, quand le musée de peinture était encore l’un de ces édifices napoléoniens qui bordent la Place de Verdun, et quand il avait pour conservateur un excellent théoricien de l’art qui se nommait Pierre Gaudibert . Cette peinture fluide, en larges pans liquides mixant les mauves, les roses et les jaunes d’or, ou bien les gris et les bleus délavés, me fit beaucoup d’effet. Je confesse que dans mes rares essais de peinture qui n’étaient pas l’aquarelle, je me suis souvent vu tenter d’imiter platement de telles harmonies. Mais Leonardo Cremonini n’était pas seulement un riche coloriste, il était aussi un narrateur. Ses tableaux se regardaient à la manière de textes à déchiffrer.

cremonini-le-tableau-et-les-voyers-sito.1274511858.JPGDans « Le tableau et les voyeurs », de 1971, par exemple, que voit-on ? un buste romain sur le coin d’un meuble de style soutenant un miroir, parallèlement au miroir un tableau, dans le miroir, une porte fenêtre qui s’ouvre sur un extérieur qu’on devine être une plage, et par cette porte fenêtre pénètre la tête d’une jeune fille (d’un enfant ?) qui se reflète encore partiellement dans la vitre. Jeux de miroir et jeux de plans. Le temps est en suspens. On comprend qu’en ces années « lacaniennes », cela ait plu à beaucoup. Umberto Eco, dans une préface au catalogue rappelle que « le nombre d’auteurs qui ont écrit sur Cremonini reste impressionnant : Alberto Moravia, Stephen Spender, Louis Althusser, Pierre Emmanuel etc. » et bien sûr, Eco lui-même.

“Les naïfs pensent que les miroirs servent à se reconnaître (c’est vraiment moi) et au contrôle (ma cravate est bien droite). En fait ils servent surtout à épier ce que l’on ne devrait pas voir. S’ils servent à reconnaître, ils sont toujours traumatisants (c’est moi, cet Autre ?) ; le stade du miroir pressent notre identité au moment où il nous livre pour la vie au doute et à la division. »

Chez Cremonini, chaque tableau est une fenêtre. Lui disparu, c’est donc une fenêtre qui se ferme.

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