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Les Vanupieds (43)

Publié le 24 mai 2010 par Plume

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France appuyait fortement le poids de son corps sur la canne qu’Adam avait taillée. Le manche recourbé, ingénieuse conception née de la réflexion des deux enfants, soutenait son aisselle, lui garantissant un certain équilibre. Elle avançait sur un pied. Mais il était visible à la sueur perlant entre ses mèches brunes qu’elle peinait infiniment. Elle s’immobilisa quand elle vit sa petite sœur approcher d’un pas hésitant et penaud. Cependant, elle ne prononça pas une seule parole, les lèvres pincées, comme sous le coup d’une colère sur le point d’éclater.

Alissa n’osa avancer à plus d’un mètre de son aînée, terrifiée et résignée tout à la fois à l’idée de recevoir la correction méritée. Contre toute attente, France persista dans son silence, debout à un pas d’elle, figée, les deux mains accrochées à la canne. Incapable de supporter la lourdeur de ce silence, Alissa leva vers elle un visage confus et apeuré tout à la fois :

« France…

-  Je te l’avais interdit, Alissa ! »

La voix de l’aînée eut l’effet d’un brusque coup de tonnerre. Le souffle coupé, Alissa recula, les yeux rivés sur son visage ténébreux. France frémissait de tout son être et son regard, noir, était absolument insoutenable. Pourtant, bien que particulièrement cinglant, le ton de sa voix n’était pas furieux.

« Tu sais que je te l’avais interdit ! »

Au bord des larmes, Alissa la contempla avec détresse :

« J’ai… j’ai eu si peur, France… »

L’aînée plissa les lèvres, l’air méprisant. Mais Alissa qui ne la quittait pas des yeux devina plus qu’elle ne vit réellement l’expression accablée qui passa un court instant sur ses traits. Instinctivement elle reprit espoir.

« Je… je me suis perdue et j’ai… j’ai eu si froid… »

Elle tendit les mains vers elle, implorante et désolée.

« France… »

L’aînée l’apostropha avec agressivité :

« Je devrais te punir, Alissa ! Tu le sais, j’espère ! Tu m’as encore une fois désobéie ! Quand, mais quand tu ne le feras plus, hein ?

France ! France ! Pardon ! »

Alissa éclata en sanglots et se précipita contre elle, d’une manière si soudaine qu’elle faillit la renverser.

« Pardon ! Pardon ! »

Plus secouée par l’émotion de la nuit que véritablement en colère, France ne la repoussa pas, malgré la douleur qui se réveilla instantanément à son contact. Elle titubait de soulagement, de fatigue, de souffrance, tout à la fois, la laissant baigner de larmes le tissu grossier de sa robe. Au bout de quelques secondes, elle l’obligea néanmoins à s’écarter et posa doucement une main sur son épaule :

« Ne pleure pas Alissa, c’est inutile. Tu sais bien que ça ne changera rien. Alors, est ce que tu mérites une punition ?

Oui… »

Alissa tremblait, incapable de s’éloigner, comme si elle cherchait à s’assurer de sa réelle présence en palpant nerveusement ses vêtements.

« Oui. Punis-moi, France. C’est tout ce que je mérite !

-  Tu as compris maintenant pourquoi je t’avais interdit de partir seule ?

-  Oui ! Oui ! Je suis… je suis ce que tu as dit, une sotte, une… une… »

Elle étouffait sous les sanglots qu’elle s’efforçait de contenir. La légère pression amicale qu’exerça France la rasséréna un peu :

« Je ne suis pas fâchée. Je ne te punirai pas, Alissa. »

Alissa sursauta et la dévisagea sans comprendre :

« Mais je le mérite, France !

-  Oui, c’est vrai, tu le mérites et je devrais le faire… »

France parlait calmement, presque tristement.

« … Mais ce serait bien trop facile de te cacher ainsi de tes responsabilités. Je ne te donnerai pas cette satisfaction, Alissa. Et puis peut-être que tu t’es suffisamment punie toi-même ? »

Alissa blêmit aux souvenirs cuisants de la nuit passée.

« Oui, gémit-elle faiblement, oui ! J’ai… j’ai eu si peur, France, si peur ! J’étais seule, il faisait froid et… et… »

Elle secoua la tête. L’effroi reflétait dans le bleu pâle de ses yeux l’horreur des moments qu’elle avait vécus.

« Et je… je m’étais perdue… »

Elle s’effondra et s’accrocha à nouveau à sa sœur.

« France, j’ai cru que… Oh ! France ! France ! »

L’aînée caressa ses longs cheveux dorés :

« C’est fini maintenant, murmura-t-elle avec une surprenante gentillesse. Oublie. Nous sommes ensemble. Tu vois ? J’ai réussi à me lever et à marcher. Nous partirons bientôt de cette ville.

Oui. »

Alissa la regarda avec adoration. France sourit à ce petit visage encore pâle et ruisselant de larmes. Sans rien dire de plus, elle l’embrassa tendrement et, alors qu’Alissa, bouleversée, l’étreignait de toutes ses forces, croisa le regard d’Adam. Ce dernier avança vers elles, comme s’il n’attendait que cela pour le faire, et appuya sa joue frémissante contre la sienne.

« France… »

Il la contempla avec reconnaissance, heureux et fier.

« Merci… »

Les rayons du soleil scintillèrent étrangement dans les beaux yeux de France, conquise et uniquement dévouée, se dit Sœur Mérédith qui les observait avec émotion, aux deux plus jeunes.


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