ANPE : Speed Dating.

J'avais donc rendez-vous à 11h15 pour faire un bilan sur l'évolution de ma situation après quelques mois de réinscription douloureuse. Je devais pour l'occasion préparer mon cv mis à jour, porter toutes les pièces justificatives de mes nombreuses recherches d'emploi et dans la foulée, organiser mon temps car désormais, je devenais cliente privilège, un suivi personnalisé hebdomadaire venait de m'être accordé par les ASSEDIC. Le jour J, soit à 4h du matin, j'étais encore à traîner sur la vague houleuse, me disant que de toute façon, je n'avais rien de spécial à préparer, la seule chose qui avait changé depuis ma réinscription était ma consommation exponentielle de caféine. Ce qui, somme toute, ne justifie pas que je mette mon cv à jour, d'autant plus que je n'ai plus d'encre dan mon imprimante repose-pieds. Je suis allée me coucher sereine et détendue. Pour me réveiller à 10h34. Un peu éparpillée, j'ai dû laisser un de mes hémisphères sur l'oreiller, juste le temps de récupérer mon dossier tout neuf qui croupissait dans un tiroir, plié en 4, mes clés, mon sac et les clés de Troicencette, qui allait devoir me prouver toute sa puissance et sa sécurité. Le premier obstacle survient juste en bas de chez moi, avec un poids-lourd en plein milieu de la départementale, derrière lequel une grue. Appels de phares, coups de klaxon bien senti, et 10 minutes plus tard, le chauffeur, son bonnet et son thermos de café qui me prient de ne pas m'énerver, que c'est pas sa faute. Je baisse mes lunettes de soleil, l'abats à regard portant et repars, à fond de 1ère. Je traverse ainsi le canton, dont la départementale toujours aussi défoncée est en cours de ravalement, feux de travaux, défonçage de la tranchée fraîchement coulée pour cause d'oubli de câbles enterrés, et dont je vais devoir payer les réparations. (Ah ces fonctionnaires de l'Equipement, les pauvres, ils ont trop de taches à accomplir, on ne peut pas les accuser de couler une tranchée et de s'apercevoir une fois que le béton est sec qu'ils ont oublié d'y enterrer l'électricité et le téléphone, faut dire, on peut pas leur demander de stationner la pelle à la main toute la matinée et en même temps de respecter les contribuables.) J'arrive en ville, dont le centre est quelque peu perturbé par la mise en place d'un parking souterrain nécessitant le rétrécissement des voies, un mercredi avant Noël, ou comment se croire en plein Paris alors qu'on est à Carcassonne. Quand enfin, je pousse la porte à double-battant du siège du refuge des sans-emplois, échevelée, le souffle court, la pommette violacée, il est 11h15. "Bonjour, je suis pile à l'heure. -Vous êtes? -Pile à l'heure et Madame Loupia pour 11h15. -? J'ai personne à cette heure avec ce nom. -Quand vous ne me faites pas pleurer, vous me faire rire et sinon très peur, là, c'est les 3 à la fois. -Ah si, un entretien de suivi, c'était pas sur le bon écran ouf. -Ouf, oui. -Patientez s'il vous plait. -Il me plait." Je n'ai même pas le temps d'observer combien les lieux n'avaient pas changé qu'une jeune et souriante préposée vient à ma rencontre, avant que je pose mon fondement sur la chaise en plastique. "Madame Loupia? -Oui? -Allez on y va." Mise au point rapide, constat amer mais logique que je ne serai pas demain ni après demain ni l'an prochain dans le clan des winners. Transformation de suivi hebdo en mensuel, prise de conscience de l'inutilité de me déplacer pour cocher des cases en déduisant que je serais une parfaite hôtesse de caisse. Invitation subtile à utiliser le téléphone pour le prochain rendez-vous mensuel, puisqu'un enfant ou une voiture tombent toujours en panne à l'heure du rendez-vous. Et question fil rouge. "On se connaît, on s'est déjà vues, et y a pas longtemps mais où?" Lorsqu'elle et moi nous serrons la main d'un air entendu, il est 11h22. 7 minutes à échanger nos regards pour se rappeler. Déceler le ton de la voix, la provenance géographique, l'humour en commun, le cadre de vie. 7 minutes. Le temps, le goût, l'ambiance et les conclusions d'un speed dating.