La Musique Adoucit la Mort VI

Publié le 24 mai 2010 par Dirrtyfrank

Plusieurs mois passèrent dans une ambiance de comédies musicales. La confiance qu'ils portaient l'un envers l'autre s'était installée doucement, rendant les choses vraiment simples. Ils s'étaient installés ensemble. Le choix s'était porté sur l'appartement de Bernard qui bénéficiait d’une plus grande surface et d'un confort plus qu'honorable. Angie avait apporté ses petites affaires personnelles parmi lesquelles sa grande collection de disques. La plupart faisaient doublon avec la collection de notre chanteur de salle de bain. Un petit détail sans importance dans une partition sans fausse note. Quoique. Les "visions sonores" de Bernard continuaient à le hanter, à le fatiguer, à l’angoisser. Mais dans cette période bénie, rien ne l'empêchait d'avancer dans le bon sens. Voir son avenir était toujours troublant, mais ce n'était que du bonheur à mettre sous presse.

Bernard ne fredonnait que des chansonnettes acidulées, violons et Auto Tune garantis. La rock'n'roll attitude dont il avait mis un point d'honneur à défendre depuis toujours, se mettait en fade out. Bernard était devenu un joyeux luron chéri par Carlos, un merveilleux amant dont les exploits étaient anticipés par Herbert Léonard, un bon garçon, genre Backstreet Boys mais en solo…Toutes ces mélodies insignifiantes s'entrechoquaient de façon rassurante. Elles étaient toute semblables, ne racontaient qu'une seule et même histoire: vie tranquille ponctuée de moments de folie et d'amour vrais. Un couple qui partageait une incroyable tendresse que tant de gens recherchent, ne le trouvant que sur Chérie FM.

Alors qu'il se dirigeait vers son magasin, un matin tout tranquille et ensoleillé, Bernard fut pris d'un accès de folie qui l'emmena dans un domaine musical qu'il n'avait pas exploré depuis longtemps: le punk. A ses oreilles maintenant habituées au miel, résonnait tout à coup le brûlot destructeur et impitoyable « Fun Night » d'Andrew WK.

We like to play and we do it all day. Because we got no worries. We make what we want. And then we make what we want. Because we're in a hurry.

Ce cri terrible lancé par le jeune californien fit flipper Bernard, un vrai coup en pleine tronche. Il se demanda si les paroles dont il se souvenait vaguement, étaient bien celles de la chanson. Il regarda à plusieurs reprises la pochette de l'album (ce qui n'était pas rassurant en soi). Il mit le disque dans la chaine hi-fi du magasin, fit fuir quelques clients sensibles et décortiqua jusqu'aux moindres jeux de mots ou autres métaphores cachées dans le morceau. Rien à faire, Andrew WK avait, de toute évidence, écrit ses paroles en moins de 5 minutes et il ne fallait pas y voir une quelconque pensée profonde, sinon "Bourrez vous la gueule, niquez, faîtes la fête et ne pensez à rien d'autre". Bernard vécut difficilement les jours qui suivirent ce coup de stress. Il était aussi fébrile qu'une proie à la merci de son chasseur. Aucune fête à l'horizon, aucun excès de boisson prévu et aucune envie d'aller voir ailleurs... Son attitude dérangeante alerta Angie qui décida de rompre le silence pesant.

- ‘Bernard. Je ne sais pas ce que tu as depuis plusieurs jours mais tu n'es pas dans tes baskets. Soit t’as fait une connerie, soit tu crois que j'en ai fait une, soit quelqu'un t'a dit quelque chose et, dans ce cas, il faut qu'on parle.’

- ‘Non, tout va bien. Je te jure’.

- ‘J'ai vaguement l'impression que tu ne me fais plus confiance ou alors que tu as peur qu'un truc moche arrive. Tu tires une tête jusque par terre en ce moment. Dis-moi si t’as des soucis. C’est le magasin? C’est dur en ce moment? Je suis là pour ça aussi, tu sais.’

- ‘Ouais, comment dire. Comment te dire ce qui m'arrive. Tu sais, tu es impliquée aussi. Ça ne peut pas venir que de moi. C'est pas facile à expliquer...’

- ‘Qui te l'as dit, putain?’

- ‘Qui te l'as dit… quoi ?’

- ‘C'est cette conne de Mylène. Je savais bien qu'elle pouvait rien garder pour elle, cette pétasse.’

- ‘Mais non, Mylène Farmer n'y est pour rien. C'est Andrew qui a tout déclenché.’

- ‘Mylène Farmer, Andrew. De quoi tu me parles, Bernard ? Je comprends que tu sois ému mais quand même. Là, c'est du delirium tremens. Il faut que tu prennes l'air, ça tourne pas rond chez toi. Et moi qui voulait te l'annoncer ce soir, tout en douceur.’

- ‘M'annoncer quoi?...en douceur de quoi?’

- ‘Fais pas l'innocent. Tu dis qu'Andrew, que je n’ connais pas, t’a tout dit. Ça doit être le nouveau mec de cette catin de Mylène. Je devrais pas me fier à elle, c'est une langue de vipère.’

- ‘Bon, Angie. Vas-y, crache le morceau au lieu de cracher ton venin.’

Angie s'obligeait à respirer lentement, elle intériorisait toute l'énergie qu'elle pouvait. Elle essayait de se calmer. Dans quelques secondes, elle allait se lancer dans le grand vide et Bernard essaierait de la réceptionner du mieux possible. Pas facile au vu des tremblements et des frissons qui le gênaient le long de son dos.

- ‘Bernard, j'attend un bébé de toi. Et comme je veux que cet enfant naisse dans une vraie famille, je veux que tu m'épouses. Voilà.’ Elle sourit bêtement. ‘Et on va faire une teuf à faire tout pêter. Je suis tellement heureuse. Faisons ça rapidement. Je ne peux pas attendre plus longtemps.’

Tout paraissait presque logique mais pourquoi avoir été exposé à cette musique pour dégénérés pour lui annoncer la nouvelle ? Les prévisions étaient de plus en plus difficiles à décrypter. Bien malheureusement, il fallait vivre avec. Plus aucun événement, si agréable soit-il, ne serait simple à gérer à l'avenir. Les bonnes choses n’arrivent que quand on s’y attend le moins. Bernard ne pouvait plus se conformer à cette croyance populaire depuis longtemps. Lui, les bonnes nouvelles, ils les connaissaient à l’avance, et franchement, il s’en serait bien passé. C’est à vous dégoûter qu’il vous arrive des trucs sympas. Et en plus, il y pensait en chantant. Du grand n’importe quoi. On savait qu’on vivrait tous le siècle des maladies neurologiques, mais de là à imaginer ce truc de fous. Nous sommes tous complètement à la ramasse…et Bernard, il se voyait en haut de l’affiche.

Un petit moment de répit est nécessaire. Finalement, il est heureux de cette nouvelle. Les yeux fermés, les jambes bien détendues, les pieds s’étouffant dans des charentaises usées. Tranquille comme un nabab. Rien dans la tête, rien dans les mains, rien et ça fait du bien. Jusqu’à ce que quelques paroles enjouées viennent troubler ce moment.

Elle a fait un bébé toute seule - Elle a fait un bébé toute seule – C’était dans ces années un peu folles – Où les papas n’étaient plus à la mode - Elle a fait un bébé toute seule.