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Berliner Tabloïd

Publié le 26 mai 2010 par Kranzler

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Deux terrasses de café dans une rue piétonnière du paisible quartier de Tegel, à Berlin. Des marronniers à fleurs blanches, au feuillage encore luisant car tôt ce matin il a encore plu. Cela semble maintenant plus ou moins calmé. Un soleil hypocrite se laisse apercevoir entre les nuages - ridicule comme un escargot complexé et craintif prêt à rentrer la tête à la moindre menace. Un simple pet de souris suffirait à l’intimider, en fait. Cela pourrait prêter à sourire mais c’est bel et bien tragiquement ennuyeux. C’est même épouvantable lorsque, l’espace d’une seule seconde, vous revient en mémoire l’image d’un ciel atlantique déchiré avec ses lambeaux jaunes, ses guenilles rouges et ses écorchures bleu foncé. Dieu qu’en comparaison  tout cela semble fade. Ce serait presque à donner envie de hurler à l’ennui, mais je n’en fais rien. Je me tiens comme il faut, sans rien montrer, tout en sachant que, la plupart du temps, je me fous bien de faire les choses comme il faut.

Deux terrasses de café, je disais. Le Dorfkrug et le Sax’n Haus. Des noms qui ne vous disent probablement rien, Des noms qui sentent très fort le paysan, en tout cas. Cela devrait me plaire, a priori, car je ne suis pas quelqu’un que la bouse de vache effraie. Mais aujourd’hui, cela me fait passablement chier. J’aime bien que la campagne soit la campagne, et que la ville soit la ville. Seulement voilà, Berlin n’est qu’une vaste bouse, bien plate et bien étalée, avec presque autant de ploucs dessus qu’on en trouve à Marseille. Mais c’est aussi une ville pleine d’artistes, de gens engagés et politiquement investis - tu parles. Les gens sont engagés ici parce que, franchement, que voulez-vous foutre d’autre dans un trou où le temps est infect et la bouffe à chier. On fait moins moins de politique en France. Et on joue davantage à la pétanque. A mon avis, autant de vérités se disent autour d’un cochonnet que lors d’un vernissage. Ce n’est pas ce que dit le Routard. Ce n’est pas ce que dit Télérama. C’est simplement ce que je pense moi, et je ne suis certifié ni Iso  9002, ni politiquement correct, ni mes couilles. Enfin si. Mes couilles, quand même un peu. Tiens, pourquoi je ne lancerais pas une nouvelle norme ? Un truc genre «Certifié par mes couilles, directement du producteur au consommateur.» Chic, non ?

Si vous voulez vraiment tout savoir, je suis en train de déguster une Warsteiner en terrasse du Dorfkrug. La Wartseiner est, par défaut, ma seconde bière préférée ici. Je lui trouve un petit côté salope, et par là, je veux dire que dans mon cas elle frappe dès la seconde gorgée. Enfin, je m’en fous un peu si elle tape vu qu’en moyenne je n’en bois au maximum qu’une ou deux fois par semaine. Mais elle tape, c’est certain. Elle cogne très vite. et si je suis pas complètement Berlinois c’est parce que je serais incapable de rivaliser avec les mecs d’ici qui en consomme à la douzaine - et je parle de grands verres, contenance un demi-litre, chaque décilitre grillant en moyenne douze neurones. Donc, très légèrement allumé je suis - normal, puisque j’ai dépassé la troisième gorgée. Vous conviendrez que dans mon cas une cuite ne coûte pas cher. Un dé à coudre de bière, je vous dis, et déjà j’ai envie de rire de tout.

Ce qui me fait rire, très précisément, c’est une poubelle qui se trouve à vingt mètres de moi. Une poubelle berlinoise, basique, c’est à dire de couleur orange pétant. Elle porte en lettres blanches le sigle BSR, Berliner Stadtreinigung, c’est le petit nom du service de rammassage des saloperies ici. Sauf qu’il ne faut pas confondre. Dans une ville où tout se veut politique, une poubelle est forcément différente de ses consoeurs européennes. Une poubelle berlinoise est  engagée à donf. Elle dit des choses. Elle te parle, à toi, le citoyen lambda, en lettres blanches très officielles. Elle fait passer des messages - oui, des messages, des trucs si tu préfères. Elle te dit que tu es un brave gars si tu ne laisses pas la merde de ton chien sur le trottoir. Elle te récite des proverbes, comme celui-ci : Ne jette pas demain ce que tu peux jeter aujourd’hui. La poubelle berlinoise est donc conceptuelle. Soit. Mais ce qui est à hurler de rire, c’est que la ville étant surendettée jusqu'au cou les poubelles ne sont pratiquement jamais vidées - enfin moi, je les vois toujours dégueulantes. Et le fin du fin est que des poubelles, il n’y en pas une seule à l’entrée des stations de métro, et que dans le métro, il est interdit de fumer. Alors, fumeur lambda que tu es, tu te demandes si c’est très intelligent. Une poubelle pour déposer ton mégot éteint avant de prendre ta rame, tu ne cracherais pas dessus. Une poubelle qui fait de la politique, tu te dis que c’est de la foutaise. De toute façon, la plupart du temps tu fumes la pipe. Et là, encore un truc de plouc qui te fait rire. Tu descends les marches du métro, la pipe à la main. Elle n’est pas allumée. Elle refroidit, c’est tout. Et tu croises mémère. Une Germaine couperosée, la soixantaine, un manteau qui doit être en rat crevé, et Germaine promène son clébard obèse. Tu ne lui as rien demandé, à Germaine. Elle te fusille du regard. Consciente de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas, elle te fait remarquer qu’il est interdit de fumer dans le métro. Et toi, du tac au tac, tu lui réponds de s’occuper de ses couilles. Tu ne peux pas saquer les vieilles qui te cherchent. Alors Germaine, en la fusillant toi aussi de tes yeux de vache, tu lui fais comprendre que tu lui demande pas, à elle, si elle rammasse la merde de son teckel pourri. Et elle,  comme su tu étais un flic lui demandant ses papiers, mécanique comme un pantin à ressort voilà qu'elle fourre sa main dans la poche de son rat mort et te montre un petit sac en plastique. Alors tu ris intérieurement, tout en ayant presque envie de pleurer, parce qu’ici, dans le fond, c’est vraiment rien d'autre que plouc et compagnie.


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