(6) De quiproquo en affaire d'état

- Vous moquez-vous de moi ? siffla-t-elle.

Une grande femme sèche aux yeux d'acier accourut aussitôt, puis s'immobilisa derrière Philippe, les bras fermement croisés sur la poitrine :

- Il y a un problème ici ? Madame ? Vous connaissez cette dame, Philippe ?

- Oui bien sûr, c'est une étudiante. Elle fait partie du groupe auquel je m'adressais il y a un instant.

- Non mais n'importe quoi ! je ne suis pas du tout une étudiante ! ça fait belle lurette que je n'ai pas posé mes....

- En effet, vous n'avez rien d'une étudiante, encore moins d'une étudiante en arts ! trancha la femme sèche.
- Vous savez, il est strictement interdit de nouer quelque lien que ce soit avec le personnel du musée. Philippe, alias le joli cœur, travaille, même si évidemment, son talent d'orateur fait des ravages auprès des midinettes.

- Mais pour qui elle se prend ? tonna Marie, dont la colère faisait trembler la voix.

- Pour l'un des piliers du Louvre, où je suis conservatrice. Pour Madame Peignot

. Et je veille en cette qualité au respect du règlement. Maintenant, permettez-moi de vous interroger à mon tour. Pourquoi ne harcelez-vous pas un gentil garçon de café ? Je suis certaine qu'il y en a pléthore qui s'ennuient ferme derrière leur comptoir à cette heure creuse de la journée, et qui seraient ravis de parler pour ne rien dire à une gentille fille.

- Parce que vous croyez vraiment que je suis venue pour compter fleurette à votre protégé ? Rassurez-vous, je n'ai aucune vue sur lui ! assena-t-elle en fusillant du regard Philippe qui, mal à l'aise, fixait ses pieds. La voie est libre, même si je doute fort, ne le prenez pas mal, que vos charmes ne soient à son goût. Je suis venue ici pour récupérer mon bien.

- Votre bien ? demanda-t-elle d'une voix blanche. Et quel est donc votre bien, s'il vous plaît ?

- Vous avez suivi notre conversation, n'est-ce pas ? Alors vous savez aussi bien que moi ce que je suis venue chercher.

- Ah oui, le papyrus ! s'écria-t-elle, en riant à gorge déployée.

- Oui, le papyrus ! hurla Marie, au bord des larmes. Le papyrus que Philippe s'est engagé à analyser au laboratoire puis à me rendre, contre ceci !

Elle brandit rageusement la carte d'identité. Madame Peignot, saisie, se tourna vers le jeune homme.

- Écoutez, ce n'est rien, cela n'a rien à voir avec le musée.

- Cela n'a rien à voir avec le musée ? Alors écoutez-moi bien, mon cher. Il existe deux règles en la matière. La première s'applique aux antiquités découvertes sur le sol français, entendons-nous bien, quelles qu'en soient les circonstances : l'objet revient de droit à l'État français. S'il s'agit, de surcroît, d'une antiquité égyptienne, elle reviendra très certainement, au bout du compte, à ce musée. La seconde s'applique aux falsificateurs d'antiquités ainsi qu'aux voleurs, et elle concerne plus précisément les autorités. Je ne sais pas où se situe Madame, ou Mademoiselle.

N'obtenant pour toute réponse qu'un silence dédaigneux, elle reprit :

- Bien, Mademoiselle X donc. A votre place, Mademoiselle X, j'éclaircirais au plus vite la situation.

- Qui vous a parlé d'antiquité égyptienne ?

- Et de laboratoire d'analyse ? C'est vous, Mademoiselle X, vous-même ! explosa-t-elle en agitant les bras comme un pantin désarticulé.

- Ce n'est qu'un malentendu, calmons-nous ! le papyrus dont cette jeune femme m'a confié la garde a été ramené d'Égypte l'été dernier ; elle l'a acheté à un vendeur ambulant lors d'une croisière sur le Nil. Ce vendeur lui a affirmé qu'il l'avait déterré près du temple d'Abu Simbel

, qu'il était authentique, et plus encore. Hier, je lui ai dit que ce papyrus n'avait aucune valeur, mais que voulez-vous, elle ne veut pas entendre raison, alors je lui ai proposé de l'analyser.

- De l'analyser ? gratuitement ? une camelote achetée sur un paquebot par une touriste en mal d'exotisme ?

- Montrez-moi ce rouleau qu'on en finisse !

A cet instant, sa main fendit les airs pour s'ouvrir, paume tendue. Philippe, qui se voyait déjà souffleté, perdit totalement son sang froid.

Dans le prochain épisode, vous ferez plus ample connaissance avec Berthe (la mère de Marie), et ses boudins de lambis à la créole.