Magazine Journal intime

Les boucles d’oreilles et le piano

Publié le 28 mai 2010 par Fofifonfec

Cet apart, j’y suis venue des dizaines de fois. Le piano a toujours été là, contre le mur. Il a même changé de mur, mais il n’était qu’un meuble à mes yeux. Un meuble un peu grand un peu classe, mais quand même juste pour poser les clés et le paquet de clopes. Ce soir-là, il a pris toute la place. Elle s’est assise devant, sur ce petit banc qui pour moi ne pouvait servir qu’à reposer des petons un peu trop lourds en chaussettes. Mais elle, elle s’est positionné au milieu du siège, soigneusement, a calé ses pieds sur des pédales que je n’avais jamais vu. Et elle a joué. Jouer à un truc qui n’est pas un jeu. Un truc qui fait rêver. Un truc qui arrête le temps. Comme ça, là, do ré mi fa sol et on est 45 minutes plus tard. Yen a qui remuent leur nez pour figer les choses, d’autres qui claquent des doigts pour changer
le monde. Elle, elle joue du piano.

Le repas a fini de cuire. Les patates ont fini en purée. L’écran du Mac était depuis longtemps en veille. Oublier Itunes et Deezer, ne restait plus que le piano, et sa musique était beaucoup mieux. Parfois on dit “ils ne font qu’un”. D’un couple, ou même d’un cavalier et de son cheval. Ce soir-là je l’ai pensé d’elle et de son piano.

J’étais dans son dos. Ce n’était pas ses doigts qui me fascinaient, un peu ses poignets. Mais surtout ses boucles d’oreilles. Rondes, en argent, elles suivaient le mouvement de sa tête au gré des notes. Je crois bien que je me reflétais dedans, toute petite sur l’immense canapé. J’étais à la salle de concert, mieux assise que je ne serais jamais même au Parc des Princes. Public provilegié d’une troublante mélancolie musicale. Et les boucles d’oreilles dansaient. Et la bougie sur le piano tremblait.

Elle s’arrêtait parfois, s’excusait dans un éclat de rire de la fausse note que je n’entendrai jamais. Et puis ses doigts repartaient, seuls et sûrs d’eux, imprimant un rythme doux à tout son corps, à toute la pièce, à tout l’immeuble. J’enviais ses voisins qui ne connaissaient sûrement pas leur chance. Et les boucles d’oreilles ondulaient, gracieux métronomes qui s’ignoraient. Elle n’a jamais été aussi belle que ce soir-là, aurait pu dire un mec. Mais moi c’est ma pote, et j’ai quand même le droit de dire qu’elle est belle.

Je la connais depuis plus de 20 ans, mais c’est comme si je la découvrais au premier jour. Ce premier jour qu’elle se rappelle plus précisément que moi. Une rentrée des classes au CP. On était dans le rang. Laquelle a pris la main de l’autre, je ne sais plus. Depuis les deux gamines un peu pestes ne se sont plus vraiment quitter. Et aujourd’hui, elle porte des boucles d’oreilles qui dansent au rythme de son piano.


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