Le libeccio

Sujet d'actualité que ce libeccio, il m'a réveillée sur le coup des 3 heures du matin, secouant la maison, ébranlant les fenêtres et les volets. Ce matin les pots seront couchés dans la cour et certainement aussi sur le balcon, si par miracle ils ne sont pas cassés! Lorsque je suis ainsi sortie de mon lit à une heure indue, je me rue en premier sur la cafetière (j'en suis à mon second café, teinté de lait, mais café quand même!) et puis je m''occupe en silence ne voulant pas réveiller le dormeur qui partage ma couche. Cette nuit donc, j'ai hésité : livres, crochet, mots fléchés, ordi???... un panachage de ces distractions? Ce fût mots fléchés et livres, quelques exemplaires rangés dans la salle de séjour... pas envie de faire des sottises avec mon crochet, cette nuit amputée de pas mal d'heures de sommeil me verra assez énervée pour le reste de la journée, pas la peine de forcer la dose. J'ai eu envie de me promener en Corse et plus précisément à Bastia, sortant un guide de la ville et un livre hors d'âge aux feuillets jaunis... Je l'ai parcouru, et ai trouvé une description du Bastia de la fin des années 20, contenant quelques lignes relatives au libeccio. Cela arrivait à point. Ce fameux libeccio venant de me faire sursauter dans le canapé car il a renversé une échelle métallique que mon mari avait laissé dressée sur le balcon... Je m'attendais d'ailleurs à voir le propriétaire de l'échelle, sortir d'un bond de son lit, que nenni... sommeil profond? boules Quiès? surdité?... je me pencherai plus tard sur cette énigme conjugale.
Mais en attendant, je fais la constatation suivante concernant le libeccio : comme tout un chacun il avance en âge, mais d'après la description fidèle qu'en fait Lorenzi de Bradi plus de quatre-vingts années plus tard, il n'a rien perdu de sa force. Il a du coffre le libeccio, et exprime encore comme un jeune-homme toute sa violence. Petit clin d'oeil en direction de Ronsard :
(Rochers), Vents bien que soyez âgés
De trois mil ans, vous ne changez
Jamais ni d'état ni de forme ;
Mais toujours ma jeunesse fuit,
Et la vieillesse qui me suit,
De jeune en vieillard me transforme.

Vieux Port de Bastia vu depuis La Citadelle - Photo l'Internaute -

"Il est certain que je ne connais pas, après toutes ces visites et ces promenades, la véritable physionomie de cette ville. Je sais bien que l'élégance n'y fait pas défaut. Longez le cours Paoli ou faites les cent pas sur la place San Nicolao et vous y rencontrerez les belles Bastiaises, parées au goût du jour, semant la grâce et les sourires. La pensée qu'on ne fait que les entrevoir, qu'elles passeront comme les roses, qu'elles vieilliront ou qu'elles mourront encore jeunes et charmantes, vous rend mélancolique. Je sais que la population bastiaise est subtile, raffinée, cultivée... Je sais un tas de choses aimables sur cette ville, désolée de n'avoir ni préfecture, ni évêché. Mais, je vous le dis, j'ignore sa grande et farouche physionomie, puisque le libeccio n'y a pas soufflé pendant que j'y étais. Ce vent est la terreur des Bastiais. C'est un souffle énorme et d'une violence sans bornes qui s'abat sans miséricorde, à l'improviste. Sauve qui peut! Tout est fermé. On se terre. Le vent jongle avec les tables de café, les plantes qui les ombrageaient et que l'on n'a pas rentrées, avec les arbres, les volets, les persiennes, les cheminées, avec les passants même obèses. Ah! que j'aurais voulu l'entendre dans la vieille ville dont les rues doivent être d'admirables tuyaux d'orgue pour cet organiste forcené!..."
Lorenzi de Bradi - La Corse Inconnue - Payot -