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(7) Flashback

Publié le 31 mai 2010 par Luisagallerini

- Je ne l'ai pas sur moi et cet objet ne m'appartient pas ! gronda-t-il. Et puis, il n'a pas été trouvé sur le sol français, alors peut-être faut-il aussi avertir le musée du Caire ? afin que votre homologue sache que l'un de ses papyrus musarde en France ? que des conservateurs tentent de se l'approprier ?

Les pommettes de la conservatrice virèrent à l'aubergine. Elle cessa de respirer quelques secondes, poussa un petit cri étouffé puis fit volte-face.

- Vous ne perdez rien pour attendre ! siffla-t-elle. Ce n'est pas aussi simple que cela, mon ami ! Croyez-moi, vous ignorez tout des règles du jeu. Le fonctionnement du marché des antiquités vous est totalement étranger. Laissez-moi vous dire une chose : quelle que soit la valeur de ce mystérieux papyrus, il vaudrait mieux pour tout le monde ici qu'il soit exposé au Louvre, au Caire, ou dans n'importe quel autre musée de France ou de Navarre, qu'en possession de cette pimbêche ! J'espère que vous mesurez l'importance de mes propos. Nous en reparlerons.

Hors de lui, Philippe regarda sa montre et constata qu'il était quinze heures passées.

- Ça suffit, maugréa-t-il. Mon service est terminé, je ne ferai pas d'heure supplémentaire aujourd'hui. Si vous voulez bien me suivre, ajouta-t-il en regardant Marie avec insistance.

Elle acquiesça d'un signe de tête, confuse d'avoir provoqué un tel incident sur son lieu de travail. Elle aurait dû se méfier de cette femme, aussi arrogante qu'hystérique, et réfréner son emportement. Au lieu de cela, elle était restée sourde aux mises en garde désespérées de Philippe.

Ils sortirent du métro place d'Italie

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puis, sans un mot, descendirent le boulevard Auguste-Blanqui à grands pas avant de s'engager dans le passage du Moulinet

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, à la lisière de la Butte-aux-Cailles

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. Philippe vivait dans un appartement mansardé, au dernier étage d'une petite copropriété arborée. Quand il ouvrit la porte, Marie recula d'un pas. Un désordre indicible régnait dans le minuscule salon où s'amoncelaient pêle-mêle livres, vêtements, résidus divers, papiers et disques. Passé le premier mouvement de surprise, elle se réfugia sur le sofa élimé qui siégeait au milieu du salon. Immédiatement, elle s'y sentit en sécurité, sans doute parce qu'il lui rappelait son enfance.

Affalée sur l'accoudoir éventré, elle se laissa submerger par ses souvenirs. C'était l'année de ses six ans que tout avait commencé. Elle avait assisté, désemparée, à la reddition de Berthe qui avait abandonné sans opposer aucune résistance fourneaux, chiffons et lessives, pour vivre une longue histoire d'amour avec le gros canapé en cuir dans lequel son mari avait innocemment investi. Elle s'enfonçait avec délice dans son revêtement moelleux jusqu'à n'être plus, la nuit venue, qu'une excroissance de plus parmi les coussins. Quelques années plus tard, Marie avait compris que la première révolution familiale avait eu lieu. De femme au foyer, Berthe s'était transformée en poule de canapé.

Lorsqu'un soir de décembre, Marie s'en souvenait comme si c'était hier, elle était alors âgée de onze ans, la télévision était arrivée, une seconde révolution s'était opérée. Par principe, sa mère avait commencé par ignorer la machine, contournant l'intruse tête haute, sans un regard ni un coup de plumeau. Bien que la poussière s'y agglutinât obstinément par quelque mauvais coup du sort, la télévision, qui faisait front vaillamment, conservait sa place, face au canapé. De par la disposition naturelle des meubles, Berthe avait assisté malgré elle aux émissions du samedi soir, ainsi qu'aux films du mardi soir, que toute la famille regardait, car il n'y avait pas école le lendemain.

À la faveur de l'une de ces pénibles soirées, elle avait goûté au pouvoir soporifique de la boîte à images. Avachie sur le canapé, le chien ronflant sur les genoux, elle avait rendu les armes devant l'escadron flamboyant des potentielles Miss France. Ayant réitéré l'expérience avec succès, elle avait bientôt vu l'appareil d'un nouvel œil, tout maternel. Celui-ci, loin d'être ingrat, lui avait alors révélé son second pouvoir, l'abrutissement des masses. Elle l'apprécia très vite à sa juste valeur, c'est-à-dire sans modération. La télévision, dont elle n'avait plus tari plus d'éloges par la suite, l'avait gagnée à sa cause. Petit à petit, Berthe faisait son nid.

À l'âge canonique de quarante-cinq ans, elle avait été récompensée pour ses années de dévotion. Le diabolique engin lui avait offert sur un plateau télévisé les clefs du succès. Tandis qu'un gros cuisinier aux bajoues flottantes nichait une douzaine d'escargots à l'ail dans une petite assiette en terre cuite, l'émission avait été brusquement interrompue par un spot publicitaire : Oncle Tom avait envahi l'écran. Le rêve américain!

L'année suivante, libérés du joug de la cordonnerie, ses parents croquaient la Grosse Pomme à pleines dents. À Greenwich Village, ils avaient posé leurs valises au premier étage d'un ravissant immeuble en briques rouges

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, au-dessus d'un ancien restaurant mexicain dont ils louaient les murs. Fasciné par l'escalier de secours qui sautait de balcon en balcon

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, son père s'adonnait aux joies du cigare pendant que sa mère, que rien n'arrêtait, prospectait pour décrocher l'ouvrier modèle, la perle rare du bâtiment. Si elle ne l'avait jamais trouvée, après plusieurs mois de laborieux travaux au cours desquels elle avait autant appris l'anglais que le langage universel des gestes, au moins avait-elle donné naissance à The french Pearl, la perle rare de la cuisine créative, haut lieu de la gastronomie française.

Son incroyable renommée n'eut alors d'égale que l'extraordinaire idée qu'eut Berthe ce jour-là, devant la télévision : ouvrir en Amérique un restaurant de mollusques. Au menu, bien sûr, des escargots au beurre d'orties, le fleuron de l'établissement, mais aussi de la fricassée de bulots et haddock, des coquilles Saint-Jacques à la normande, des moules à la crème, de la salade de poulpes, de la seiche à la vénitienne, des buccins à la sauce Pernod, des coques au lard, des huîtres farcies au caviar, des couteaux à la plancha, des bigorneaux au vin blanc, des ormeaux à la cancalaise, des fettuccini à la sauce aux champignons et aux palourdes, du boudin de lambis à la créole, des praires farcies, et bien d'autres gourmandises. Paul et Berthe, égéries de la bonne société new-yorkaise, étaient devenus l'incarnation du rêve américain.

Philippe l'arracha à ses rêveries lorsqu'il s'installa à ses côtés.

Dans le prochain épisode, vous profiterez des merveilles de l'informatique...

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