La récente exposition de la fête de la Très Sainte Trinité nous a conduits à négliger de rappeler la fête d'un très grand personnage du monde chrétien, honoré le 30 mai. Pour rattraper cette lacune, nous reprenons ici quatre articles publiés en son honneur il y a de cela déjà deux ans.
Le 30 mai célèbre en effet, pour les catholiques, une double libération. C’est d’abord, pour nous Français, la fête de sainte Jeanne d’Arc, morte sur le bûcher en 1431, réhabilitée en 1456, canonisée en 1920. Sainte Jeanne d’Arc, on le sait, est l’une des saintes Patronnes de la France.
Bien moins connu chez nous est saint Ferdinand III, que nous fêtons également en ce jour.Il fit reculer l’islam en Espagne, et conquit Cordoue, Murcie, Grenade et Séville.
Ce saint nous intéresse particulièrement parce qu’il fut roi, et un très grand roi. Roi, il fut un politicien par excellence, réunissant en lui et dans son action au service de son pays toutes les vertus que peut réunir un prince chrétien, de prudence et de justice.
Sa vie est une précieuse leçon de choses, à un double titre.
D’abord, elle vient nous montrer qu’un gouvernement sage, intelligent, courageux, vertueux, peut réellement exister. Ce n’est pas une abstraction marsienne, un être de raison, un impossible qui va de soi dans son impossibilité et dans cette seule impossibilité. La preuve en est apportée, fût-elle rare. Qu’un païen n’y croit pas, qu’un libéral ou un socialiste gangrenés par leurs idéologies respectives n’y croient pas, soit. Mais qu’un chrétien ne le croit pas, non, ce n’est pas admissible. Alors c’est un stimulant à la prière, à la prière de conversion pour notre pays, pour nos gouvernants. Comme on dit dans l’Ecriture, « le bras de Dieu n’est pas raccourci ». Faisons prier nos enfants pour cette cause.
La seconde leçon est plus anecdotique. La cité moderne déchristianisée, “libérée” de Dieu, se présente comme un paradigme de civilisation, de progrès humain, d’intelligence, d’épanouissement social, dans un cadre institutionnel indépassable. Méditons un peu ces choses. Certes le Moyen-Age n’a pas produit que des Ferdinand III [dont la seconde épouse, Béatrice de Souabe, tertiaire de l'Ordre de la Merci, a été elle-même béatifiée] et des Louis XI, son cousin germain, tous deux tertiaires de saint François, contemporains de saint Dominique et de saint Thomas d’Aquin, loin s’en faut ! Mais notre Âge, que produit-il donc ? En quels modèles humains se reconnaît-il depuis la Révolution française qui a mis fin à la « superstition » ? Ce serait très cruel de faire sur ce point des rapprochements.
Nous empruntons le récit qui suit, que nous traduisons, à l'étude de José M. Sánchez de Muniáin, San Fernando III de Castilla y León, Año cristiano, tome II, Ed. BAC 1959, Madrid, pp. 523-531. En raison de la longueur du texte, nous le publierons en plusieurs articles. N’oublions pas nos frères espagnols, dans la communion : c’est l’occasion aussi de prier pour eux. Ils en ont bien besoin !
_______________
A la différence de son cousin germain saint Louis IX de France (1), Ferdinand III n'a pas connu la défaite, ni même l’échec. Il a triomphé dans toutes ses entreprises intérieures et extérieures. Dieu a porté ces deux cousins à la sainteté par des voies humaines opposées : l'un sous le signe du triomphe terrestre, l’autre sous celui du malheur et de l'échec.
Ferdinand III a uni définitivement les couronnes de Castille et de León. Il a reconquit la quasi-totalité de l’Andalousie et de Murcia. Les sièges de Cordoue, de Jaén, de Séville, et la conquête de bien
d’autres places de moindre importance ont revêtu une grandeur épique. Le roi maure de Grenade est devenu son vassal. Une première expédition castillane a pris pied en Afrique, et notre roi
est mort alors qu’il planifiait le passage définitif du détroit. Il a entrepris la construction des plus belles de nos cathédrales (Burgos et Tolède certainement, peut-être León, qui a commencé sous son règne). Il a pacifié ses Etats et les a administrés avec une justice exemplaire. Il fut tolérant envers les Juifs et rigoureux à l’égard des
apostats et des faux convertis. Il promut la science et consolida les universités naissantes. Il créa la marine de guerre castillane. Il protégea les récents Ordres mendiants, franciscains et
dominicains, et prit garde à l’honnêteté et à la piété des soldats. Il prépara la codification de notre droit, instaura le castillan comme langue officielle des lois et des documents publics, à
la place du latin. Il est de plus en plus certain, historiquement, que le fleurissement juridique, littéraire et même musical de la cour d’Alphonse X le Sage [son fils] (2) fut le fruit de
l’œuvre de son père. Il a peuplé et colonisé consciencieusement les territoires conquis. Il a institué ce qui allait devenir les Conseils du Royaume, en désignant un collège de douze hommes
savants et prudents pour l’assister. Il a observé rigoureusement les pactes et les engagements pris à l’égard de ses adversaires, les chefs maures, même lorsque des raisons de convenance
politique nationale se sont ultérieurement présentées. En un sens, il était l’antithèse chevaleresque du “prince” de Machiavel.
Il fut, comme nous le verrons, un habile diplomate et, en même temps, le promoteur infatigable de la Reconquête. Il n’a voulu la
guerre qu’en tant que croisade chrétienne et de légitime reconquête nationale, et il a respecté son engagement de ne jamais prendre les armes contre d’autres princes chrétiens, épuisant pour cela
toutes les ressources de la patience, de la négociation et du compromis. Au sommet de l’autorité et du prestige, il s’est constamment attaché, avec une tendresse filiale, exprimée à maintes
reprises dans des documents officiels, à suivre les sages conseils de la mère exceptionnelle qui était la sienne, Bérengère. Il a dominé les seigneurs turbulents, pardonné magnanimement aux
nobles vaincus qui se sont soumis, et il a honoré de ses largesses les chefs fidèles de ses campagnes. Il a favorisé le culte et la vie monastique, tout en exigeant la coopération économique des
mains-mortes ecclésiastiques et féodales qui était due. Il a renforcé la vie des municipalités, et réduit au minimum les contributions économiques nécessitées par ses entreprises guerrières.
En une époque aux mœurs licencieuses, il a donné l’exemple d’une très haute pureté de vie et de ses sacrifices personnels, en gagnant ainsi auprès de ses fils, des
prélats, des nobles et du peuple la réputation unanime d’être un saint.
Comme gouvernant, il fut à la fois sévère et bienveillant, énergique et humble, audacieux et patient, courtois et pur. Il a incarné ainsi, avec son cousin saint Louis IX de France, l’idéal chevaleresque de son époque.
A sa mort, selon les témoignages contemporains, hommes et femmes éclatèrent en sanglots dans les rues, y
compris les hommes de guerre.
Bien plus. Nous savons qu’il a conquis même le cœur de ses ennemis, à ce point a priori inconcevable que certains princes ou rois maures ont embrassé la foi chrétienne à cause de son exemple. « Nous n’avons rien lu de tel au sujet de rois antérieurs », dit la chronique contemporaine du Tudense (3), en parlant de l’honnêteté de ses mœurs. « C’était un homme doux, avec un grand sens politique », témoigne l’historien Al Himyari, son adversaire musulman. Le roi maure de Grenade fut présent à ses obsèques, avec une centaine de nobles portant des flambeaux. Son petit-fils, Jean-Manuel, l’appelait déjà, dans l’Exemplo XLI, « le saint et bienheureux roi Don Fernando ».
(à suivre)Traduction Hermas.info ©
______________
(1) En effet, la mère de Ferdinand III, Bérengère Ière de Castille (1180-1246) [fille d'Alphonse VIII et d'Aliénor d'Aquitaine], était la soeur aînée de Blanche de Castille (1188-1252), qui eut notamment pour enfant Louis IX, autrement dit "notre" saint Louis (1214-1270), roi de France. Note du traducteur.
(2) Alphonse X le Sage (1221-1284), sans avoir la grandeur de son père, fut néanmoins l'une des plus grandes figures de la monarchie médiévale d'Espagne. Erudit, poète, musicien, il est l'auteur des célèbres 426 "Cantigas de Santa María", ces poèmes chantés en l'honneur de Notre-Dame. « L'art du troubadour - écrivait-il pour les présenter - exige de l'entendement et de la raison, et bien que je ne possède pas ces facultés au degré que je voudrais, j'espère que Dieu me permettra de dire un peu ce que je désire. Et ce que je désire, c'est que la Vierge fasse de moi son troubadour ». On consultera sur ce sujet le site qui leur est consacré, ICI. Note du traducteur.
(3) Les médiévaux étaient familiés de ces surnoms donnés à des auteurs, des professeurs, en fonction de leur origine. Le "Tudense" désigne Lucas de Tuy († 1249), chanoine de Saint-Isidore de León et évêque de Tuy, qui fut notamment un historien très connu en son temps, et à qui la reine Bérengère confia la rédaction d'un ouvrage qu'il intitula le Chronicon mundi (l'histoire du monde). Note du traducteur.