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Oeillères (2ème épisode de Négresse)

Publié le 01 juin 2010 par Ctrltab

Oeillères (2ème épisode de Négresse)

J’ai accepté. Je n’aurais pas dû. Cela nous aurait sûrement évité le pire. Aujourd’hui encore, je me demande si Luis était conscient du piège qu’il nous tendait ou s’il était simplement aussi naïf que je l’étais. Selon l’heure du jour et l’intensité de la lumière, j’oscille entre les deux options.

- Voilà tout ce dont tu auras besoin pour écrire ma biographie.

Le lendemain, Luis, tenant sa promesse, m’amena sur un plateau fluo tous ses trésors passés et témoignages de ce qu’il avait été.

- Tu es entièrement libre. Si jamais tu veux écrire à la première personne du singulier, n’hésite pas, fais-le !

- Tu rigoles ! En gros, tu veux vraiment que je me glisse dans ta peau, que je prenne ta voix, que je devienne toi ?

- Oui, on s’est déjà assez mêlé et emmêlé. Tu verras, tu n’auras aucun mal !

- J’ai peur.

- De quoi ?

- De te perdre…

Il a haussé les épaules. La discussion était close. Et voilà comment je me suis retrouvée assise à mon bureau avec une montagne de carnets, de journaux intimes et d’albums photos d’un homme que je croyais connaître. Comme une bonne mule, j’ai foncé tête baissée dans cette folie.

Je fréquentais Luis depuis deux ans déjà. Il aurait pu être mon père et nous nous gardions bien d’afficher notre liaison. Par instinct de protection, par excès d’ivresse aussi. Le secret de notre relation, son interdit non dit nous enivraient l’un et l’autre et nous découvrions ensemble des délices insoupçonnés.

J’admirais Luis bien sûr. Sa vie était bien plus tracée que la mienne, remplie peut-être de trous noirs, de bosses et de dos d’âne, qu’importe, je ne souhaitais pas en savoir davantage. Je voulais juste goûter à son présent lumineux, me réchauffer à son charisme et rêver avec lui. Pas de passé, pas d’avenir, l’extase nette et propre.

Je me gardais bien de fouiller dans ses coulisses et de fouiner à l’arrière du décor jusqu’au matin de sa proposition. Ce jour-là, Luis avait dormi pour la première fois chez moi. Est-ce tout ce bonheur conjugal soudainement imaginé, cette familiarité du quotidien qui l’ont ainsi effrayé ?


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