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Le bruit des clés

Publié le 02 juin 2010 par Leshakerdecyril

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J'ai connu la prison. Il y a environ une bonne dizaine d'années. Etrangement, c'était au quartier des femmes  de la prison de la ville ou je vivais à l'époque, à Caen. Une expérience que je n'oublierai jamais.

Je n'étais qu'un simple intervenant,  le mercredi, durant deux mois. J'ai eu l'opportunité d'accéder à cette enceinte grâce à Stéphanie (une amie), qui travaillait dans l'administration pénitentiaire. Mon rôle consistait à écrire un scénario avec les femmes qui le souhaitaient, pour « éventuellement » un jour réussir à le tourner (mais nous savions que ce projet à ce stade était irréalisable).

Immersion complète d'une seconde sur l'autre dans l'univers carcéral. Juste le temps de me présenter le personnel, de me diriger rapidement vers le quartier des femmes, de rentrer dans une pièce assez grande avec des tables et des chaises, puis d'attendre. Bien avant, j'avais signé une décharge de l'administration si à tout hasard il devait m'arriver malheur.

Les détenus arrivent. Elles se placent. Je me présente, je ne sais pas si je dois les laisser se présenter. Elles me donnent des prénoms que je ne vais pas retenir. Rapidement je présente le projet, mes envies, ma motivation, je trouve les mots assez facilement. De temps en temps, toutes les minutes (un peu moins peut-être), une des surveillantes regarde par l'œilleton de la porte. Ma première surprise, c'est le nombre des participantes (j'ai oublié combien sont les détenues, mais elles sont bien une dizaine avec moi). Je vais vite comprendre que pour certaines, ce n'est pas le projet, mais la possibilité de pouvoir s'extraire de la cellule quelques heures. J'ai 1h30 d'intervention.

Et puis je fais la boulette, une bonne grosse boulette de débutant. A la fin je dis aux filles que la semaine prochaine nous allons commencer à écrire le scénario. Quand je reviendrai la semaine suivante mon groupe sera de moitié car la plupart ont eu peur, car elles ne savent ni lire ni écrire. C'est con et je le regrette encore, j'ai été stupide.

Puis les mercredis défilent. Les filles me racontent les histoires, les douleurs, la vie, la détention, les surveillants, la prison,  le travail en prison... . A la fin je connais toutes les histoires et je sais en partie les raisons de la détention. L'une d'elle va me laisser un souvenir assez inoubliable, Gisèle L., mon amie m'avait prévenu, une femme assez charismatique, très belle, envoûtante et une magouilleuse de première (pas le temps de te raconter son histoire, il me faudrait un blog entier). Gisèle va contribuer énormément au scénario, elle va m'écrire des lettres aussi. Je vais découvrir dans ses écrits une autre version de son histoire, de sa détention. Elle me raconte son plaisir lors de ses déplacements avec la police pour se rendre au tribunal. Elle me raconte que certains, très sympas, avant de se diriger tout de suite vers ce dernier, profitent de l'occasion pour lui montrer la mer, juste le temps de quelques minutes. Je vais lire les lettres de Gisèle le soir chez moi. Quand je rentre dans l'enceinte, je suis surveillé à mort, je passe sous le détecteur, ma chemise qui contient les feuilles du scénario est ouverte. A l'inverse, quand je quitte la prison, plus rien, pas un gardien, juste celui qui m'ouvre la grande porte vers la sortie. La première fois, je n'avais pas vu que Gisèle avait glissé des écrits dans ma pochette. Puis j'ai laissé faire.

A terme un scénario est écrit, le contrat est rempli. L'histoire reste très simple, elles vont l'intituler Le bruit des clés. Ce bruit des clés des surveillants qu'elles ne supportent plus. Hier soir, je suis tombé sur ce manuscrit et j'ai eu envie de vous faire partager cette expérience. La prison c'est un endroit difficile. Je le sais, je l'ai vu, et comme souvent quand je rencontre des gens me dire que la prison c'est les vacances, ça me donne envie d'ouvrir ma gueule. J'ai le souvenir quand je quitte l'établissement de ne pas être rentré chez moi directement, en général je me promenais dans les rues de Caen un bon moment car c'est terriblement oppressant la prison, une véritable sensation d'enfermement à grande échelle. Je garderai à vie je pense cette expérience en moi, et souvent je pense aux filles que j'ai rencontré car je sais que certaines sont encore en prison.


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