Le brocciu

Nous poursuivons pour un temps la promenade en Corse, avec aujourd'hui une étape gastronomique.

Bergeries de Grotelle - Photo trouvée sur le net - Jean-Louis DROUZY

C'était avant le lever du soleil. Ce matin de mai était clair et doux. L'air avait un éclat de rosée. L'odeur du maquis était vive, fraîche comme l'eau du granit, veloutée comme les mousses naissantes. Par moments, le souffle salin arrivait par bouffées subtiles.
Sur la place de la cabane, Mariasè la bergère alluma le feu, à l'abri d'une grosse pierre. Ensuite, elle posa sur le trépied un grand chaudron rempli de lait qu'elle venait de traire et qu'elle avait ajouté à celui de la veille. Sa tête était enveloppée d'un foulard noir noué sous le menton. Elle laissait flotter un châle sur ses épaules, et comme elle marchait pieds nus, sous sa robe longue, son orteil semblait une tête de tortue sortant de sa carapace. Mariasè cachait sous ses haillons une de ces beautés flexibles pour lesquelles, autrefois, s'entretuaient les mâles les plus farouches.
Après avoir fait bouillir le lait, elle y jeta une pincée de présure pour le cailler. Elle en retira d'abord la matière du fromage qu'elle se mit à pétrir de ses mains agiles, et qu'elle sala. Puis, dans le liquide restant, elle versa peu à peu du lait frais tout en remuant avec une baguette le mélange qui grumelait. Au fur et à mesure, elle ramassait avec une écuelle les grumeaux pour en remplir couche par couche un moule de jonc. Une fois plein, le broccio fumait tendre, blanc, parfumé.
C'était ainsi chaque matin, depuis les premiers souffles froids jusqu'aux jours de canicule, où les champs desséchés ne gonflent plus les mamelles des chèvres et des brebis. Et, chaque matin, je mangeais du broccio encore chaud dans une écuelle avec une cuiller en bois, tout en respirant les parfums du maquis et l'air salin.
Lorenzi de Bradi - La Corse Inconnue - Payot