Job stories n°7 : le destin de pierre
Publié le 22 mai 2010 par BrunohTous les mois, je vous offre une nouvelle, qui paraît également dans le journal "L'offre d'Emploi" de mon ami Philippe Winter. L'objectif : rappeler, au-delà des données macro-économiques, que la recherche d’emploi constitue, avant tout, l’histoire personnelle de millions de femmes et d’hommes… La vôtre, peut-être ?
La première fois qu’il s’est assis en face de moi, j’ai tout de suite senti que c’était lui. Il venait de perdre son travail. Il a parlé, longtemps. Subtil, intelligent. Personnage complexe. Regard pétillant. On aurait dit que ça l’amusait de s’adresser à moi. Le lendemain, il était là. Fidèle au rendez-vous. Il avait apporté un livre avec lui. Il m’a lu des poèmes de Francis Ponge. Le parti-pris des choses. Difficile de résister. Dans son attitude, candeur et provocation se succédaient avec délice. Son sens de la formule faisait souvent mouche. Sauf que la mouche, c’était moi, et que je venais de prendre un sacré coup de tapette derrière les ailes ! Le troisième jour, il pleuvait. Il ne vint pas. J’attribuais cette absence au mauvais temps, qui n’incitait pas les gens à sortir. Pas grave. Nous aurions bien d’autres rendez-vous. J’étais naïve, conquise.Le quatrième jour, il arriva avec des fleurs, qu’il avait fraichement coupées, en traversant le parc. Il les déposa à mes pieds, comme une offrande. Old school, chic, décalé. Je ne voulais plus lui résister, quand bien même l’aurais-je pu.Le cinquième jour, il m’expliqua à quel point cette journée allait compter dans son existence. Que jamais il n’aurait osé, avant. Que cette fois, il ressentait les choses avec une telle intensité... Qu’on ne vivait qu’une fois. Il m’a montré la bague, dans cet écrin qu’il a refermé devant mes yeux, étouffant dans le même geste mon cœur et mes larmes. Qu’est ce que j’avais imaginé ?Pauvre conne. J’ai passé la nuit à me le répéter. C’était trop beau, trop rapide,trop facile. La perte d’un boulot. C’est juste à cause de ça qu’il s’était adressé à moi. Comme un pied de nez au destin qui venait de se montrer injuste avec Monsieur-à-qui-tout-réussit. Sur le coup, ça devait l’amuser, de parler avec celle que tout le monde ignore. Celle à qui on chie sur la gueule à longueur d’années. Mais de là à me provoquer à ce point. Oser me parler d’elle, avec cette indécence dégagée… De la provoc’ décomplexée. Le salaud !Il faisait beau, ce samedi là. Je l’ai aperçu, depuis l’autre bout du parc. Avec elle. Sa robe de mariée était splendide. On dit toujours ça. Mais la sienne l’était vraiment. Ils se sont approchés de moi. S’il ne m’avait pas adressé ce clin d’œil, en passant à ma hauteur, je n’aurais peut-être pas réagi. La fameuse goutte d’eau… Ils se sont arrêtés. Je pouvais la toiser, la jolie demoiselle qui n’en était plus une. Ce fut plus fort que moi : je lui ai mis un coup de boule. Je l’ai tuée.
FAITS DIVERS – Hier vers 15h30, une femme a été mortellement blessée par une statue du Jardin Public, alors qu’elle posait, en robe de mariée, aux côtés de son jeune époux. Ce dernier, traumatisé, a été placé en observation à l’hôpital. D’après les spécialistes, la tête de la statue se serait descellée, suite à une fêlure d’origine inconnue.