(9) Petite leçon d'anatomie

- Que connaissez-vous des rituels funéraires égyptiens ? lui demanda-t-il à brûle-pourpoint.

- Eh bien, pas grand-chose.

- Avez-vous entendu parler du Livre des morts ?

Elle secoua la tête, l'engageant à poursuivre.

- En fait il n'y a pas un, mais autant de Livres des morts

que de défunts. C'est un guide personnel qui permet au défunt, non seulement de trouver son chemin dans l'au-delà, mais aussi de surmonter les nombreuses épreuves qu'il rencontre. Ces épreuves prennent la forme de monstres, d'animaux, d'êtres hybrides, de gardiens de porte, qu'il faut non pas tuer mais " mettre de son côté ", convaincre en quelque sorte, grâce à un rituel magique. Il faut bien comprendre le processus qui va de la mort physique à la renaissance psychique est très long... Pardonnez-moi, je ne dois pas être très clair.

- Si si ! s'il vous plaît, continuez.

- Parmi ces rituels que l'on dit funéraires, certains étaient destinés à assurer la conservation du corps physique.

- La momification ! s'écria Marie, enthousiaste.

- Vous y êtes ! Et savez-vous en combien de temps on momifiait un corps ?

- Soixante-dix jours, soit plusieurs mois ! Et savez-vous d'où nous tenons cette connaissance des méthodes de momification ?

- Par l'analyse des momies, je présume.

- Bonne réponse ! mais ce n'est pas tout, répondit-il en se redressant. Nous possédons aussi le précieux témoignage d'Hérodote, et le Rituel de l'embaumement, connu grâce à deux célèbres papyrus

, malheureusement incomplets. L'un est conservé au Caire et l'autre au Louvre

.
- Mais vous n'avez sans doute jamais entendu parler de ce rituel...

- Il est vrai que l'on parle plus souvent du Livre des morts que du Rituel de l'embaumement. Pourtant, ils sont complémentaires. Le défunt ne peut pas se libérer de son enveloppe corporelle sans le Rituel de l'embaumement, et il ne peut pas traverser l'au-delà sans les formules magiques du Livre des morts. L'un, vous l'aurez compris, est destiné au corps, et l'autre, aux forces psychiques.

- Et quel est but ultime de ces rituels ? demanda Marie en tapotant sa joue d'un doigt nerveux.

- Transfigurer le défunt en akh de lumière.

- Je ne suis pas certaine de comprendre. Qu'est-ce qu'un akh de lumière ?

- Cette notion est complexe. De plus, elle n'a de sens que par rapport à l'ensemble des entités qui forment l'être humain. Pour les égyptiens, il n'y avait pas uniquement un corps et une âme, comme dans notre culture judéo-chrétienne. Mais j'ai peur de vous assommer avec mes explications.

- Non, je vous en prie, continuez.

- Bien, comme vous voudrez. Commençons par l'entité a priori la plus simple, même s'il ne faut pas s'y fier : le corps. Chaque partie du corps est associée à un attribut psychique et reflète une qualité essentielle de l'individu. Par exemple, les jambes sont associées à la volonté, les bras à l'efficacité, ou encore les mains à la confiance.

- Et la bouche, joue-t-elle un rôle particulier ?

- Bien sûr, la bouche est primordiale pour l'être humain car elle véhicule la parole. Elle est liée à l'honnêteté. Mais je pourrais vous parler de tout cela pendant des heures, il y a tant de choses à dire !

- Nous avons toute la nuit ! s'exclama Marie sans réfléchir. Philippe, qui esquissa un sourire gêné, ne fit aucun commentaire.

- Tenez, prenons les oreilles, poursuivit-il en jouant machinalement avec l'une des siennes, qu'il plia, déplia puis décolla sans ménagement. Les oreilles incarnent l'attention, les facultés mentales, la compassion, la sagesse. Voyons voir... Savez-vous pourquoi tant d'égyptiens étaient dessinés avec un gros ventre

?

- Et bien, parce qu'ils étaient bedonnants, sans doute, hasarda-t-elle en rentrant instinctivement le sien qui débordait paisiblement.

- Vous êtes tombée dans le piège ! dit-il en riant. Un égyptien à gros ventre est un homme de pouvoir.

- Le ventre matérialise donc le pouvoir ?

- Pas seulement. Dans le ventre siègent également les désirs impulsifs, les appétits et les sentiments.

- Le cœur, comme tous les organes, possède une signification. Et il occupe une position plus élevée que le ventre, ajouta-t-il en fixant sans y prendre garde les courbes de Marie, qui se crispa aussitôt. Le cœur est l'essence incorruptible de l'individu, le centre spirituel, le lieu de la réflexion et de la pureté.

- Et la tête ? Marie, qui avait l'impression de jouer aux devinettes, espérait ainsi réorienter son regard vers des zones plus décentes.

- La tête correspond à la personne dans sa totalité. Vous remarquerez que souvent les hommes, les dieux ou les animaux ne sont représentés que par leur tête. Le bâ lui-même est dessiné avec une tête humaine

, symbole de l'individu dans son intégralité. Mais comment en suis-je arrivé à vous raconter tout ça ? s'enquit-il brusquement, comme sorti d'un rêve.

- Eh bien, on parlait d'un l'akh de lumière.

- Ah oui ! L'akh est une entité spirituelle dont l'aboutissement est la renaissance dans le monde inférieur, dans l'au-delà si vous voulez, sous la forme d'une étoile. Sans rentrer dans les détails, je termine rapidement l'énumération des huit composantes d'un individu : en plus de l'esprit akh et du corps khet ou djet, dont je vous ai parlé, il y a aussi le bâ, l'âme pour nous autres européens, l'énergie vitale ka, l'ombre khaibit, le caractère sahu, le cœur ib et le nom ren.

- Vous savez, c'est le fruit de plusieurs millénaires de civilisation.

- Les deux papyrus du Rituel de l'embaumement datent de la même période que le vôtre. Et le meilleur reste à venir !

L'émotion de Philippe était palpable. S'attendant à le voir sombrer dans la folie tant son regard s'était assombri - Marie imaginait toujours le pire - elle frissonna.

Dans le prochain épisode, d'incroyables révélations vous attendent...