- Sors doucement et que je puisse voir tes mains.
- Je peux pas sortir mon bras droit.
- Fais ce que je te demande et discute pas.
- Le truc c’est que ma main droite tiens une arme. Si je la sors de la voiture vous allez avoir peur et me tirer dessus.
- Alors lâche la et vite.
- Je peux pas maintenant que je la tiens ce serait un peu idiot.
- Lâche la ou je tire.
- Alors quoi c’est ça la justice ? Vous tireriez sur quelqu’un dont vous ne voyez pas l’arme ? Vous préférez me tuer en pariant sur l’hypothèse que je pourrais vous tirer dessus plutôt que de ranger votre arme et de me serrer la main et même pire, en fait vous préférez me tuer plutôt que d’être tué. C’est à dire en fait sacrifier votre idéal de justice.
Noir
Von Braun arrive en ville. Le bar de F. En entrant il a laissé du sang sur la poignet. Jenny a peur, part se réfugier au fond du bar. F sort et le reconnaît
- Braun, t’as une sale gueule, et je t’attendais plus tôt.
- Oui, j’ai été retenu à la campagne par un flic. Il m’a fait chier, il était mal poli, il a pas voulu me serrer la main, du coup, j’ai été obligé de lui tirer dessus. C’est quand même fou tous ces gens mal poli. Bon, il a tiré aussi, et il m’a salement amoché le bras droit. Ce fils de pute. Il s’aperçoit que Jenny est toujours là. Pas d’offense Jenny. Elle acquiesce du regard.
- C’est pas grave monsieur Braun. Venez, moi et les copines, on va soigner votre bras.
- C’est gentil chérie mais je crois que j’ai plutôt besoin d’un docteur.
Il tombe. Évanoui.
Le bar, inventaire : étriqué. Tabouret en bois bien ciré. Odeur de corps chaud et de parfum de roses. Vide. Les ampoules sont vielles, la lumière est faible. Plusieurs tableaux. Contraste. Dans le fond, un couloir.
Le couloir : inventaire. Photos de positions sexuelles, comme un catalogue. Sur la gauche, des portes. Soit pour coucher, soit pour observer. Dans le premier cas, c’est plus cher. Dans le deuxième, c’est plus sale.
Noir
L’enterrement. La famille. L’amie dans une robe à pois rouges. Petit repas à la paroisse. Le curé :
- Je vous ai préparé un petit goûter pour que vous puissiez toutes et tous vous retrouver et parler un peu.
- J’ai appris son enterrement à la dernière minute, c’est la dame de la garderie de l’école maternelle qui me l’a dis, alors que je cherchais sa fille des yeux. Je n’ai pas eu le temps de me changer. Je voulais absolument être présente. Je voulais vous demander si vous aviez une idée de ce qui avait pu se passer.
- La mère a la voix qui tremble : nous n’en savons pas plus. Nous l’aimions beaucoup. Ces derniers temps, elle était très discrète. Elle avait un amant très gentil. Et personne ne lui voulait du mal. La police dit que ça a l’air d’un suicide, mais ça semble tellement irréel. Jeanne a toujours aimé beaucoup la vie. Vous savez quand ma mère a moi est morte. Je n’étais pas vraiment triste parce que je m’y attendais. C’est une femme qui parlait de la mort tous les jours. Pour mon père et maintenant pour Jeanne, c’est autre chose. Ils avaient en commun malgré leur divorce un amour exacerbé pour l’existence. Je ne comprends pas, non je ne comprends pas. Elle se ferme.
- Le père de Jeanne vient soutenir sa femme. Vous savez, elle a laissé une lettre pour vous. (Si elle n’était pas morte, vous l’auriez reçu par la poste, de manière normale…) Et aussi, nous savons, elle nous en a parlé souvent, elle voulait vous laisser ce tableau qu’elle aimait tant. Si vous voulez, vous pouvez venir demain avec nous chez elle. Nous y allons pour classer un peu ses affaires. Nous voulons vendre assez vite l’appartement.
Noir.
Le lendemain. Le tableau : une reproduction. Klimt. Danaë. Souvenir : Pauline et Jeanne devant le tableau, il y a un an.
- Pauline s’arrête devant le tableau. De qui est-ce ?
- C’est un Klimt ma Pauline. C’est un très grand peintre du début du vingtième siècle tu sais. Il s’appelle Danaë. Tu sais, il y a un texte de Descartes qui s’appelle « les petites perceptions » dans ce texte, il explique que l’on peut, par un concentration assez soutenu, retrouver les perceptions, intra-utérines. Celles que tu as eues dans le ventre de ta mère ma Pauline. Moi je suis très sensible à cette idée, pas toi ? L’idée qu’on puisse revenir à cet état, ou tout était simple, ou tout était calme, comme le visage de Danaë. Où l’on se sentait enveloppé comme dans un voile de soie. Dans la douceur de sa propre peau, avec une lueur dorée. Quand je suis triste, ou quand j’ai peur, je regarde ce tableau, les lèvres rouges, les cheveux ondulants, la chair épaisse, me calment aussitôt. L’impression de paix du tableau me ramène à l’époque à laquelle j’étais un fœtus.
- Tu as souvent peur toi Jeanne ?
- Ces temps ci, il y a des hauts et des bas. Je suis avec un homme qui m’inspire autant de crainte que de sûreté. Comment te dire. A l’extérieur, c’est un bandit, un voyou. Quand nous ne sommes que tous les deux par contre, c’est un homme charmant, doux, presque jusqu’à la soumission. Une fois je me souviens, nous sommes sortis tous les deux, et un de ses amis a voulu se moquer de moi. Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi furieux. L’affront fut balayé par tant de sang que ne me suis presque sentie coupable d’avoir produit la plaisanterie. En même temps il est instable. Je sais qu’il aime les femmes, toutes les femmes. Que ce qu’il cherche, ce n’est pas l’amour d’une seule, mais comme un Casanova moderne, à embrasser la féminité dans sa totalité, à travers chaque particule d’êtres aux cheveux longs et aux mains douces. Et puis parfois quand il est avec moi, il est un peu brusque. Quand il n’a pas ce qu’il veut, et même si je te parlais tout à l’heure d’une espèce de soumission, il crie et se met à tout casser. Et puis comme toi au bout d’un moment, il voit Danaë et puis s’arrête. Alors je m’approche timidement, et nous parlons de cette peinture pendant des heures.
Noir.