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(10) Le Rituel de l'embaumement

Publié le 10 juin 2010 par Luisagallerini

- Ces deux papyrus sont a priori des copies partielles d'un exemplaire original beaucoup plus ancien, ajouta-t-il la gorge sèche.

- Seriez-vous en train d'insinuer que ce rouleau tombé du ciel a un quelconque rapport avec le Rituel de l'embaumement ? articula péniblement Marie, sans perdre des yeux l'étudiant qui s'agitait de plus en plus.

- Un quelconque rapport ? s'écria-t-il comme si on l'eût injurié, avant de se lever d'un bond pour arpenter la pièce. C'est un exemplaire complet du rituel ! une copie intégrale de l'original, dans un état de conservation que je qualifierais de miraculeux ! Il ne s'agit pas seulement d'une œuvre d'art, mais d'un témoignage archéologique capital, d'une pièce pour laquelle, précisa-t-il d'une voix étouffée, le Caire et Paris seraient prêts à tout !

- Abasourdie, Marie resta muette quelques secondes. Elle était incapable de savoir ce qui la déconcertait le plus, être en possession d'une pièce unique à l'inestimable valeur, ou subodorer que le monde des antiquités égyptiennes était une jungle.

- Existe-t-il des clivages entre les deux musées ? demanda-t-elle en l'observant avec attention.

- Écoutez, je ne peux pas répondre à cette question. Sachez juste que les menaces de la conservatrice ne sont pas à prendre à la légère. Croyez-moi, ce papyrus pourrait mettre en péril la fragile alliance qui unit les deux musées.

Marie accusa le coup en silence. Ses mains étaient glacées.

- Quand pensez-vous pouvoir le déchiffrer ?

- Il me faudrait un ou deux jours supplémentaires, répondit-il avec un faible sourire, en s'asseyant à nouveau à ses côtés. Mais avant tout, j'ai un service à vous demander.

Son visage était si près du sien que Marie eut un mouvement de recul.

- Si vous décidez de garder ce papyrus, sachez que c'est illégal. Je ne veux pas vous influencer, je veux juste que vous soyez prudente. Il ne s'agit pas seulement de mes recherches, mais de votre sécurité. Il ne faut vraiment en parler à personne, sous aucun prétexte, et vous ne devez plus aller au Louvre. Si vous y êtes vraiment obligée, évitez soigneusement la section égyptienne, et tout contact avec le personnel, y compris avec moi. Si vous souhaitez me joindre, vous avez mes coordonnées. Si vous me laissez un message, je vous promets de vous rappeler.

- D'accord, murmura Marie, soudain gênée à la pensée des nombreux messages qu'elle avait laissés sur son répondeur.

- Encore une chose : ne dites rien de confidentiel par téléphone, simple précaution. Tenez, prenez le papyrus.

Marie scruta son visage. Ses traits étaient tirés et son sourire avait disparu. Il semblait inquiet. Il lui tendit le cylindre en plastique où il avait soigneusement replacé le rouleau.

Avant de partir, elle le remercia chaleureusement. Le papyrus dissimulé dans un grand sac de voyage qu'il lui avait prêté, elle rentra chez elle avec la désagréable sensation d'avoir une mallette remplie de billets de banque menottée au poignet. Dès que possible, elle mettrait le papyrus en sûreté.


Cette nuit-là, quand elle se rendormit avant que l'aube ne se levât, elle fit un épouvantable cauchemar. Prisonnière d'un tombeau exigu aux parois couvertes de hiéroglyphes et de fresques aux couleurs flamboyantes, elle découvrait sur un linceul sa dépouille mortelle. Il n'y avait pas un bruit, le silence et l'absence d'air, ou plutôt d'oxygène, l'étouffaient. Sentant la faim lui dévorer le ventre, elle se cognait aux murs

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. La lumière, le soleil, la douce caresse des rayons de l'astre sacré lui manquaient affreusement. Elle percevait des voix à l'extérieur du tombeau, dont l'une, monocorde, qui récitait inlassablement la même litanie. Elle hurlait, frappait les murs, grattait le sol, en vain. Personne ne l'entendait ni ne la voyait, personne ne viendrait la secourir. Alors, de découragement, elle s'était laissée flotter et naturellement, avait été aspirée par la bouche béante.


Un magnifique ciel bleu l'accueillit le lendemain matin quand elle ouvrit les volets. Elle ne pouvait pas retourner travailler après de tels événements. Elle téléphona à son employeur et posa une semaine de congés, prétextant un état de fatigue générale. Lorsqu'elle eut raccroché, elle poussa un profond soupir de soulagement. Après avoir déposé le papyrus dans un coffre à la banque, se sentant pousser des ailes à la perspective de ces vacances inattendues, elle décida de retourner sur la place de la Bastille dans l'espoir d'y découvrir quelque autre trésor enfoui dans les gravats. Cette idée ne cessait de la tarauder depuis la veille, même si, par méfiance ou par égoïsme, elle n'en avait pas fait part à Philippe. Cependant, la place lui réservait une mauvaise surprise.

L'esplanade avait été entièrement recouverte. Une véritable marée noire de goudron frais exhalait une âcre odeur de brûlé. Déçue, Marie

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s'éloignait par le boulevard Beaumarchais lorsque Philippe téléphona pour l'inviter à le rejoindre le soir même, dans son appartement. En raccrochant, elle eut la désagréable sensation qu'il lui cachait quelque chose. Elle connaissait très bien ce timbre monocorde, le même qu'avait son frère lorsqu'il lui mentait. Un goût amer envahit sa bouche ; elle allait devoir attendre plusieurs heures avant d'en avoir le cœur net.

Quand Philippe apparut dans l'entrebâillement de la porte, elle remarqua immédiatement ses yeux cernés et son front soucieux, creusé de ridules.

Dans le prochain épisode, l'amulette renaîtra de ses cendres !

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