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La Solution beauté

Publié le 11 juin 2010 par Danielrondeau

Aux premières lueurs de l'aube, j'ai descendu l'escalier extérieur pour ramasser le journal du jour. En quatre ans, le camelot n'avait lancé son quotidien sur le balcon que deux fois. Je me suis juré, une fois de plus, de lui servir une leçon de baseball, mais comme je ne lui avais jamais laissé un sou de pourboire, je m'estimais encore chanceux de recevoir un journal sec, en un morceau.

Plus par habitude que par curiosité, j'ai levé les yeux vers l'énorme panneau publicitaire planté sur le toit du commerce d'en face. Voitures, unes d'hebdomadaires, albums de Noël, crèmes exfoliantes ou pilules supposées gonfler l'homme endormi en moi s'y succèdent au rythme des modes. Chaque mois, un différent slogan prémâché commence mes journées: Just do it, Bonne semaine, Parce que je le vaut bien, Le Dur de dur, tous interchangeables. Chaque matin, je lis les mots, regarde les images sans y penser, je baille et je remonte allumer la machine à café. Chaque matin, sauf ce matin.

Une fille m'y attendait. Une fille nue, de dos, qui se cache les seins avec les mains sans trop qu'on sache pourquoi puisqu'elle faisait dos à la caméra. Elle regardait de côté, présentant son profil gauche. J'ai scruté son nez, son œil, son menton, le galbe de ses seins, la courbure de ses hanches, le sourire de ses fesses. Autant de régions connues, de pays visités, de souvenirs brûlants. Le mannequin était Ophélie.

Ophélie, qui avait fait le conservatoire, qui s'était toujours plainte de ne pas avoir de rôle, s'était donc résignée, comme tant d'autres de son métier, à la publicité. Toutes ces années de pratiques, d'études, d'auditions, de textes par cœur, de personnages à habiter, d'auteurs à saisir, de cours de danse, de chant, de maintient, de pose de voix pour finalement offrir son corps au hachoir de Photoshop et ainsi ajouter sa viande à la boucherie de la surconsommation qu'elle dénonçait depuis toujours. Tout près de son sourire, le panneau clamait «La solution beauté». J'ai eu un petit rire niais, sans conviction.

Ophélie était là, devant mes yeux humides, déshabillée, de dos, pour vanter les vertus d'un quelconque shampooing qu'elle n'avait sans doute jamais utilisé, du moins du temps de nos fréquentations.

Elle avait 27 ans, j'en avais 350.

Je devais appeler au boulot pour signaler que je prévoyais être malade.


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