George aime plonger dans les gouffres du métro, rejoindre les grillons cigales, les rats et les fourmis travailleuses, retrouver le goût de la foule, son animalité, sa sueur, sa déraison surtout.
Vous croyez les visages gris et fermés ici, détrompez-vous ! Il suffira d’un coup d’éclat d’un ivrogne trop saoul ou d’amoureux trop bruyants pour que le wagon tangue, s’emporte et rejette -ou encense- l’élément perturbateur.
De Jasmin à Nation, George respire les effluves de l’interdit et tente de renouer avec les frissons d’autrefois. Qui sait ? Quelqu’un le reconnaîtra-t-il peut-être derrière son masque de vieillard, ses cheveux gris trop longs et sa maigreur longiligne ?
Mais les passagers dorment sur leur livre ouvert et ne remarquent pas ce grand échalas, jaunâtre et ridé. La vie s’est amusé à caricaturer sa beauté d’antan. Ces traits si fins que tous admiraient autrefois lui donnent désormais l’allure d’une vieille fille oubliée au Musée Grévin.
L’œil, resté vif, mendie. Non pas de l’argent, trop facile, pire : la gloire ! Ah, s’il pouvait simplement entendre des chuchotements derrière lui : « oh, mais regarde là ! Incroyable, il y a George Dentrée assis sur un strapontin ! Tu sais, c’était une star de la nouvelle vague ! Et moi qui le croyais déjà mort… »
Même ce type d’éloge funèbre se fait de plus en plus rare. Pourtant George espère encore grappiller un regard trop insistant, un sourire ou une question portant sur un changement de direction. Un signe que les autres le trouvent toujours aussi diablement sympathique…