4). « Mon Heure n’est pas encore arrivée »
« Que puis-je faire ? », que dois-je faire « ? », « mon Heure n’est pas encore arrivée » : la réponse de Jésus, la mention de l’Heure, ne démonte pas
Marie, elle ne la surprend même pas. Joseph étant décédé, Jésus prend la succession pour assurer le maintien de la famille : il est charpentier : « N’est-ce pas là le charpentier,
le fils de Marie » (Marc 6, 3) disent les gens lors de la visite de Jésus à Nazareth. De longues journées passées avec Marie, des entretiens riches et profonds. Il serait étonnant que Marie
n’ait pas posé des questions à Jésus sur sa Mission, elle qui gardait toutes dans son coeur et les méditait ; il serait surprenant que Jésus n’ait pas mis sa Sainte Mère au courant de son
destin : n’a-t-il pas averti par trois fois les Apôtres de ce qui l’attendait à Jérusalem ? Et puis, un jour, le moment étant arrivé, Jésus qui avait environ 32 ans, annonce à sa Mère
qu’il doit commencer sa Mission. Elle y était préparée, elle s’y attendait. Je ne serais pas surpris qu’il ait dit à Marie : « maintenant l’Heure est arrivée ». Et Marie, de le
suivre, sans jamais le quitter, car elle savait ce que cela voulait dire : le glaive de douleur qui devait transpercer son âme. Le Verbe de Dieu fait chair en son sein ne pouvait rester un
simple charpentier à Nazareth : il devait maintenant accomplir la Mission qui lui avait été confiée et qu’il avait acceptée : « Tu n’as voulu ni holocaustes ni oblations, alors
j’ai dit, ô Père : me voici, pour faire ta volonté ».
L’Heure : seul saint Jean en parle - du moins avec cette insistance. L’heure de Jésus est l’heure de sa glorification, de son retour à la Droite du Père. L’Evangile de Saint Jean en marque
l’approche. Mais elle est fixée par Dieu, et nul ne peut l’anticiper : « Ils voulurent alors l’arrêter ; mais personne ne porta la main sur lui, parce que son Heure n’était pas
encore venue » (Jean 7, 30). Et de même : « Personne ne l’arrêta, parce que son Heure n’était pas encore venue » (Jean 8, 20). Jésus, l’annonce cette Heure de sa glorification
par la mort. Aux Grecs qui demandent à Philippe de voir Jésus, Jésus répondit : « La voici venue l’Heure où le Fils de l’Homme doit être glorifié » (Jean 12, 23). Et il poursuit en
ces termes qui ne laissent aucun doute sur la signification de cette parole : « En vérité en vérité je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste
seul ; s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jean 12, 24). Mais Jésus, Dieu, mais homme, à l’évocation de cette Heure qui approche, est troublé, comme au Jardin des Oliviers, et il
déclare : « Maintenant mon âme est troublée Et que dire ? Père, sauve-moi de cette Heure ? Mais c’est pour cela que je suis arrivé à cette Heure. Père, glorifie ton Fils (Jean
12, 27-28a). Car avec cette Heure, poursuit Jésus : « C’est maintenant le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté bas ; et moi, élevé de terre,
j’attirerai tous les hommes à moi » (Jean 12, 31-32). Et Jean, l’homme au regard pénétrant, d’ajouter l’explication de ces paroles : « Il signifiait par là de quelle mort il allait
mourir » (Jean 12, 33). L’HEURE, C’EST LA PASSION, LA CROIX, NOTRE REDEMPTION
Jésus connaît cette Heure, et, avant qu’elle ne vienne, il doit terminer sa mission auprès des siens, avec le Lavement des pieds, l’institution de la Sainte Eucharistie et du Sacerdoce, pour
perpétuer au long des siècles le salut que cette Heure apporte au monde : « Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son Heure était venue de passer de ce monde au Père, ayant aimé
les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin » (Jean 13, 1), c’est-à-dire jusqu’à l’extrême de l’amour. Après l’institution de l’Eucharistie, avant de partir pour le Jardin
des Oliviers, Jean cite la grande prière d’oblation et d’intercession du Sauveur à l’heure de son sacrifice imminent, appelée habituellement « Prière Sacerdotale ». « Levant les
yeux au Ciel, il dit : Père, l’Heure est venue, glorifie ton Fils, pour que ton Fils de glorifie, et que, par le pouvoir sur toute chair que tu lui as conféré, il donne la vie éternelle à
tous ceux que tu lui as donnés. La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, Toi, le seul et véritable Dieu et ton Envoyé, Jésus-Christ » (Jean 17 1a-3). L’HEURE, C’EST LA PASSION, LA
CROIX, POUR DONNER AUX HOMMES LA VIE ETERNELLE.
Cette Heure, Jésus l’a désirée d’un grand désir : elle était le but de sa vie, le but de son Incarnation : « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous », cette
dernière Pâque qui marquait l’arrivée de l’Heure, de l’immolation de l’Agneau de Dieu, dont le Sang protège de la mort, tout comme le sang de l’Agneau mis sur les linteaux des portes des Hébreux,
les avait sauvés en Egypte lors du passage de l’Ange exterminateur, pour la dixième plaie.
Cette Heure, il y pense sans cesse : il vit comme sur deux plans, le plan humain, et le plan de sa Mission : il demande à boire à la Samaritaine, et il lui parle de l’eau qu’il est venu
apporter: « Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau. Mais qui boit de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif : l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau
jaillissant en vie éternelle »(Jean 4, 13-14.). Quand l’Heure sera venue. Cette Heure est fixée par le Père et elle ne saurait être avancée, mais elle reste sans cesse présente dans la
pensée de Jésus, et quand il voit la Croix, son âme exulte d’une joie intérieure intense , malgré les souffrances horribles qu’il vient de subir : « Me voici, ô Père pour faire votre
volonté ! »
« Jésus descend les marches du prétoire ; ils lui ont ôté sa robe rouge et lui ont remis celle sans couture. La Croix est là, inclinée, contre la muraille : c’est l’autel sur
lequel Jésus veut être immolé pour nous ; c’est le Trône de son Amour ; c’est l’instrument de ses miséricordes, c’est le trophée de sa victoire.
« De tout temps, la croix fut le plus cher objet du cœur de Notre Seigneur, le but de toute sa vie ; aussi fait-il à sa Croix un doux accueil : « Mon Père, dit-il, oh !,
cette Croix que les juifs m’imposent, je la mérite bien puisque je me suis chargé volontairement de tous les crimes des hommes. Viens, ô Croix, que je t’embrasse ».
Puis, son épaule ploie paisiblement sous le fardeau, et son bras l’enlace avec amour ; du haut du Ciel, les Anges le contemplent avec admiration. Portant sa Croix, il sortit. Alors, commence
pour lui le voyage funèbre. En tête, le centurion qui préside au supplice, puis le héraut porteur de l’écriteau diffamatoire, ensuite le condamné autour duquel la cohorte fait une haie ; et,
derrière le cortège, la foule houleuse, bestiale, et dans les rues tortueuses vibre le son de la trompette ». (Méditations, 40 jours avec Jésus, par Maman, jeudi 18 mars 1915, cf. Hermas 18
mars 2010)
A Cana, lorsque Marie dit à Jésus : « ils n’ont plus de vin », partant de ce « détail » matériel, Jésus s’élève au plan supérieur de sa Mission. Dans le vin, il voit le
bon vin de la Nouvelle Alliance en son Sang. Et, comme l’Heure n’est pas venue, il fait cette réponse à Marie « Que puis-je faire ? Mon Heure n’est pas encore venue ». Mais il
écoute la parole de Marie sa Mère : il ne lui répond pas par un refus, il va faire quelque chose. Elle l’a bien compris puisqu’elle dit aux serviteurs : « Tout ce qu’il vous dira,
faites-le »
5). Tout ce qu’il vous dira, faites-le » !
Marie s’attendait probablement, certainement, à ce que Jésus envoyât les serviteurs pour se procurer le vin nécessaire à la poursuite des noces. Mais Jésus leur demande tout simplement, à leur
grande surprise, à celle de Marie probablement, de remplir d’eau « les six jarres de pierre destinées à la purification des juifs » (Jean 2, 6) et qui contenaient chacune deux ou trois
mesures. Puis il leur dit « Puisez maintenant et portez-en au maître du repas ». (Jean 2, 8). « Le maître du repas goûta l’eau changée en vin » (Jean 2, 9a). Ce dernier
est le premier témoin du miracle. Le deuxième sera le marié, sans oublier les serviteurs, car, si le maitre de maison ignorait la provenance, « les servants la connaissaient, eux qui avaient
puisé l’eau »(Jean 2, 9b). Et le maître de maison de s’exclamer : « Tout le monde sert d’abord le bon vin et, quand les gens sont gais, le moins bon. Toi, tu as gardé le bon vin
jusqu’à maintenant » (Jean 2, 10). La chose fut connue et tous les convives furent les témoins de ce miracle de l’eau changée en vin, en un bon vin
« Quid mihi et tibi, mulier ? ». « Que puis-je faire, puisque mon Heure n’est pas encore venue ? » : rien ppour l’instant qui contribue au salut vrai de
l’homme. « Que dois-je faire ? » pour répondre à ce que me demande ma Mère ?: pourvoir à ce que le vin ne manquât point puisque nous en nous en sommes chargés. Ce sont les
deux plans où se situe Jésus. Mais ce qu’il va faire dépasse largement ce que Marie lui a demandé de faire : le miracle dont ont été témoins tous les convives, lié par Jésus à « son
Heure », prend une signification spéciale : il n’est plus un miracle, il est un signe, il est le SIGNE d’une réalité future en rapport avec sa Mission de Sauveur des hommes, en les
libérant du péché, de la mort, de Satan.
« Mon Heure n’est pas encore venue », certes, et Jésus ne peut l’anticiper. Mais ce n’est plus la vie cachée à Nazareth, où il travaillait comme charpentier, où ses gestes étaient des
gestes humains, où il menait un vie humaine comme tous les habitants de Nazareth. Désormais, il a commencé sa vie publique, il a reçu le « Baptême de Jean, à l’occasion duquel la Voix du
Père s’est faite entendre : « Celui-ci est mon Fils Bien-aimé en qui j’ai mis mes complaisances : écoutez-le », et où le Saint-Esprit s’est manifesté sous forme corporelle,
comme d’une colombe (cf. Luc). Ce fut l’Envoi en Mission.
Oui, désormais, les gestes de Jésus ne seront plus simplement des gestes humains, ses « miracles » ne seront pas simplement des « miracles, mais des signes », qui révèlent son
identité véritable et sa Mission : « Afin que vous sachiez que le Fils de l’Homme a sur terre le pouvoir de pardonner les péchés, je te l’ordonne, dit-il au paralytique, ‘lève-toi,
prends ton grabat et marche’ ». Le « miracle » de la guérison du paralytique devient le signe du pouvoir qu’a Jésus de pardonner les péchés, ce qui n’appartient qu’à Dieu. Car,
comme le disaient justement les scribes et les Pharisiens « Dieu seul peut pardonner les péchés ».
Le « miracle » de l’eau changée en vin à Cana devient un signe en lien avec l’Heure de Jésus, qui est l’Heure de passer de ce monde à son Père, par sa mort sur la Croix, afin que élevé
de terre il attire tous les hommes à Lui, et que tous reconnaissent en lui « Celui qui est », « Je Suis », Dieu, le Fils de Dieu. Saint Jean n’a pas employé le terme
« signe » par hasard. Et de même, il n’a pas choisi par hasard les deux épisodes qui parlent de la Mère de Jésus : les Noces de Cana, et La Mort de Jésus.
L’eau changée en vin, le « miracle » changé en signe, indiquent ainsi une réalité grandiose, qui échappe malheureusement à la plupart des lecteurs de ce passage. Jésus, ne pouvant
donner le Bon Vin de la Nouvelle Alliance, car l’Heure n’est pas encore venue, en donne toutefois un signe, le bon vin de Cana qui annonce la Nouvelle Alliance en Son Sang qui sera versé pour
nous et pour la multitude en rémission de nos péchés. C’est l’annonce de la Sainte Eucharistie, de la Dernière Cène où le vin devient le Sang du Christ, du Sacrifice de la Croix, où Jésus donne
son sang jusqu’à la dernière goutte. Et Jésus commence ainsi son ministère public. Marie y a eu sa part. C’est sa prévenance, et sa démarche auprès de son Fils qui nous a valu ce signe, qui nous
aide comprendre ce grand Mystère de la Foi qu’est l’Eucharistie, qui nous permet de participer au « banquet des élus », et d’être avec Elle, à chaque Messe, au pied de la Croix, et
d’entendre ces paroles divines, « Femme, voici ton fils, fils, voici ta mère » (Jean 19, 26b-27)
Un petit excursus personnel, à propos de la goutte d’eau versée dans la calice à l’Offertoire. J’ai longtemps pensé que cette goutte d’eau rappelait le sang et l’eau qui s’écoulent du côté de
Jésus percé par la lance. Je ne le pense plus. Je pense à l’eau des Noces de Cana. L’offertoire de la Messe n’est pas une présentation des dons, le pain et le vin. C’est une offrande, un
sacrifice au sens propre du terme : L’Ordo Tridentin, à l’Offertoire, avait cette prière : « Veni Sanctificator Omnipotens Deus, et benedic hoc sacrificium tuo sancto Nomini
preaparatum » : « Venez Esprit Sanctificatateur, Dieu éternel et Tout-puissant, et bénissez ce Sacrifice préparé pour votre Saint Nom ». Dans les deux rites, l’Offertoire se
termine par l’invitation de « l’Orate Fratres », que le prêtre, tourné vers les fidèles, leur adresse : « ut meum ac vestrum sacrificium » (Orate fratres),
« afin que mon sacrifice qui est aussi le vôtre » (Oublions la « traduction-trahison française » de cette prière !), comme les sacrifices offerts à Dieu au Temple de
Jérusalem. Cette petite goutte d’eau, versée dans le calice ne se mêle pas simplement au vin, mais elle devient du vin. J’y vois l’eau de Cana qui devient le bon vin des Noces, et le vin de la
Dernière Cène qui devient le Sang du Christ au moment de la Consécration.