Le colonel Kaddafi est en visite en France. Invité pour trois jours, il a décidé de rester cinq jours et c’est tout juste si on parviendra à s’en débarrasser à la fin de la semaine parce qu’il aurait bien aimé s’incruster jusqu’au 19. Normal : les vitrines de Noël sur les Champs Elysées, c’est tout de même plus sympa que la rue principale de Syrte. Plus festif. Même les soirs d’Aïd el Kébir.
Donc le bon Kaddafi est à Paris et ma mère est en Libye. Au moins, je suis tranquille, elle ne finira pas en otage, torturée dans une prison, accusée de je ne sais quel crime imaginaire n’ayant pour seule justification que le fait qu’il faut au Guide (de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste, nom complet et exact de la Libye) un bouc émissaire pour faire passer la colère du peuple. Enfin, quand je dis colère… je veux dire que le peuple a osé froncer les sourcils et que, pour se montrer à soi tout seul qu’il se soucie du peuple (car tout le reste du monde se fiche éperdument de ce que peut faire Kaddafi avec son peuple), il choisit au hasard quelqu’un pour porter le chapeau.
Donc ma mère va revenir saine et sauve. Enfin, j’espère. Parce que ma mère a très mauvaise réputation. C’est un dinosaure. Un fossile de l’ère glaciaire : elle est communiste révolutionnaire, tendance trotskyste. Si elle se fait choper en Libye, sûr que la police va la trouver suspecte : sur son passeport, il n’y a que trois tampons : Cuba, Vietnam et Chili. Une chance qu’il n’y ait pas celui de la Chine ou de la Corée du Nord (encore que…).
A moins que ce ne soit moi qui ait tort. La Grande Jamahiriya n’est-elle pas “populaire” et “socialiste” ? Bon “populaire” en ce moment, en France, pas trop. “Socialiste”… Le mot me laisse rêveuse… Du coup, j’essaie d’imaginer François Hollande vêtu de la toge marronnasse du Kaddafi des grands jours de l’Union africaine, entouré d’un tas de filles en treillis… Ah oui, parce qu’on n’en a pas encore parlé dans nos journaux, mais la garde rapproché du Guide est essentiellement féminine. Enfin féminine… elles ont davantage l’allure (et l’amabilité) de kapos que de pom-pom girls. Au bon vieux temps, quand le Guide plantait sa tente dans les jardins de l’Union africaine, il valait mieux ne pas leur marcher sur les pieds.
Ah oui, tiens, ça c’est drôle aussi : la tente kaddafienne dans les jardin de Marigny. Tout le monde dit que le Guide n’y couchera pas… Je n’en suis pas si sûre. Je crois, moi, que c’est dans les chambres truffées de micros et de caméras cachées de la résidence française des hôtes de marque qu’il ne couchera pas. Car la réhabilitation du Guide ne l’a pas (encore) rendu stupide : parano il est, parano il restera. Il continuera à se méfier de tout et de tous. Un ptit coup de chauffage et hop, au dodo sous la tente. D’ailleurs, dans le désert (?) de Syrte, la nuit, il fait un peu frisquet. Bon, c’est vrai, il ne pleut pas. Enfin, pas comme à Paris ces jours-ci. Argh, j’imagine s’il y a une gouttière dans la tente, la nuit… On va avoir droit au complot capitaliste, c’est sûr. Je me demande qui paiera les pots cassés ? Pourvu que ce ne soit pas ma mère !