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Dernier texte avant Invente-Erre.

Publié le 14 juin 2010 par Sophielucide

Si je m’attendais…Qu’est-ce qui te prends de débarquer sans crier gare, je te croyais perdue, mon innocence, oubliée, engloutie, où étais-tu donc passée ?

J’ai toujours été là, je ne t’ai jamais quittée, c’est toi qui as fait semblant de m’effacer, mais tu n’y es jamais vraiment parvenue, n’est-ce pas ?

C’est vrai, dans les moments de bonheur pur, j’ai toujours pensé à toi, avec une certaine nostalgie même, puisqu’il faut tout te dire ; j’ai toujours un peu regretté de n’avoir pas persévéré à poursuivre le chemin que tu avais commencé de tracer, mais voilà, tu me connais, cela serait revenu à choisir la voie de la facilité et c’était pas vraiment dans mes cordes…

Et maintenant que tu vieillis tu t’aperçois que cela n’avait rien à voir avec ça et tu penses qu’il est trop tard…Non, ne réponds pas, rappelle-toi le film de Comencini.

Oh non, arrête ! Tu ne vas pas recommencer avec ça, j’avais dix ans et d’ailleurs je ne l’ai jamais revu ce film, j’ai préféré le conserver dans la part de mémoire intacte, inaliénable, avec ton regard justement, pas le mien…

Ne parlons pas du film dans ce cas mais de son contexte, c’est ça qui devrait t’intéresser…

Attends, oui je me souviens très bien : je crois bien que c’est la première fois que je regardais seule un film à la télé. La télé, c’était le domaine réservé ; on n’avait pas le droit d’y toucher, quand on la regardait c’était en cachette…Mais ce soir-là, étrangement, toute la famille était réunie dans la cuisine pour une partie de belotte endiablée. Je me suis glissée dans le salon et c’est par hasard que je suis tombée sur ce film ; je crois n’avoir jamais autant pleuré de toute ma vie, une vanne s’est ouverte, qui était reliée, je pense, autant à l’histoire racontée et à l’écho qu’elle trouvait en moi qu’à la découverte du cinéma, de la puissance de la narration, du contexte aussi…bref, oui je ne suis sûrement pas la seule au monde à avoir pleurniché devant ce film…

Il a changé quelque chose en toi, souviens-toi de la suite…

Est-ce indispensable ? Mon grand frère qui me découvre en larmes et ameute toute la sainte famille qui vient rire de mon sentimentalisme à l’eau de rose…qui me pose des questions auxquelles je ne réponds pas, je veux garder cette découverte pour moi, pour moi seule et peut-être même que je commence à mépriser ce noyau soudé face à moi…

Là tu exagères, comme d’habitude et c’est l’adulte en toi qui immisce une interprétation a posteriori

Peut-être mais revenons-en à toi.  Il y a une anecdote à ton sujet que maman se plait à raconter, tu te souviens ? Comme je la détestais chaque fois qu’elle en parlait, comme j’avais le sentiment justement que ce n’était fait que pour me rabaisser…

Oui, mais ça c’est plus tard que ça t’a embarrassée, parce que cette petite histoire sans conséquence ne collait pas avec l’image que tu t’es efforcée de créer, cette carapace qui au fond n’est qu’une forme d’orgueil ;

L’orgueil, oui, je nie pas ; c’est la richesse des pauvres… Passons, maman, qui nous connaît parfaitement l’une et l’autre et c’est cela au fond que nous lui reprochons…

Que TU lui reproches, pas moi !

Oui, maman donc, aime à raconter à quel point j’ai changé, comment j’étais une petite fille parfaite et comment je suis devenue cette sorcière à la langue pendue… Cet épisode qu’elle se délecte à répéter, surtout aux petits amis que j’avais la faiblesse de lui présenter est d’une affligeante banalité et pourtant je suis persuadée qu’il est l’origine de tout ce qui a suivi ; je crois que je ne voulais pas la contrarier comme je ne contrarie jamais ceux qui ne m’aiment pas, je fais tout pour qu’ils m’aiment encore moins, qu’ils me détestent même !

Tu t’égares …

Petite, j’étais insignifiante, plus que réservée, presqu’absente. Je ne cherchais pas à me faire remarquer au point que ma mère aime à dire que le soir, mon père lui demandait parfois de m’amener à lui pour qu’ils puissent me voir un peu. On me plaçait dans une chaise haute où je restais silencieuse, immobile. Je n’avais alors que « mes grands yeux noirs si sérieux » pour éveiller un semblant de curiosité chez mes spectateurs. J’étais une petite fille silencieuse et docile, observatrice et quasi muette. En réalité, j’étais simplement dans le brouillard

C’est au Cours Préparatoire effectivement, qu’on a décelé notre myopie. Vive l’Education Nationale…

Depuis je me demande si cette impression de plénitude, de bonheur quasi parfait face à la nature, vient de cette myopie tout simplement…Porter des lunettes fut pour moi aussi brutal et violent que si l’on m’avait jetée dans la fosse aux lions…

Non, tu extrapoles encore. J’étais heureuse avec des lunettes, aussi.

Ah bon ? Elles étaient moches pourtant, elles te mangeaient le visage et faisaient disparaître tes yeux derrière les verres épais.

C’est bien plus tard que cela t’a gênée… Mais aujourd’hui, tu en portes d’autres, qui te plaisent celles-là…

Je me souviens de cette plénitude qui m’habitait alors, cette absence de doute qui m’accompagnait et me faisait tout voir en Beau. C’est à cette période que j’ai eu cette certitude que Dieu était à mes côtés puisqu’Il me remplissait totalement. Souvent je pense à cet ébahissement dont j’étais imprégnée. Aussitôt je raille en moi-même : «  Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonnée ? » c’est complètement idiot mais je donnerais cher pour sombrer à nouveau dans cette myopie métaphysique…

Je sais bien que petite, j’étais à deux doigts de représenter dans la famille la neuneu de service. Je ne savais pas encore que la gentillesse passait si facilement pour une faiblesse mais de ce côté, on peut dire que tu as accompli des progrès considérables…

J’admirais ma grande sœur comme personne c’est vrai ; elle réunissait toute les qualités au sommet desquelles se trouvait la beauté ; mes frères étaient tout autant intelligents, vifs, inventifs et moi, au milieu, il me semblait que je n’apportais rien. J’étais là et cela me suffisait, je n’avais rien à prouver, juste être vivante, contemplative ….

Oui, c’est l’école qui a tout changé. Mais là encore, si je travaillais si bien, c’est par facilité, pour ne pas me faire remarquer …

Non, tu te trompes ! Souviens-toi… c’est au contraire pour contredire tes maîtres d’école qui ne voyaient en toi aucune qualité, je tenais à leur montrer que si j’étais sage je n’en étais pas débile pour autant. Et puis surtout, ce n’est pas tant à l’école mais bien à la maison que ce choix nous a ouvert les portes non seulement d’une très grande liberté mais surtout d’un respect. Tu n’as trouvé que ce moyen pour être tranquille et acceptée en tant que telle, tu avais trouvé une place inoccupée dont tu as fait ton bastion, citadelle imprenable… cocasse, non ?

C’est dans la solitude qu’on reste un enfant.

http://www.youtube.com/watch?v=yBSRxrVo04M&feature=related


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