Au bureau, j'ai une fenêtre. Elle n'est pas en face de moi mais sur le côté. La vue de cette fenêtre est aussi dégagée que l'autoroute du soleil un 1er juillet, vu que, à moins de deux mètres se trouve un énooooorme sapin bien vert bien touffu bien en forme. Donc, par cette fenêtre, où que je regarde, je vois du sapin vert. C'est ainsi et pas autrement. Ça pourrait être pire, je pourrais avoir vue sur un mur en totale décrépitude, sur un cimetière, sur une centrale nucléaire. Là, je vois du vert.
A l'occasion, quand les températures le permettent, je vois du blanc, quand le sapin se couvre de neige. C'est tout choli tout meugnon tout hivernal tout frisquet.
Mais il y a quelque semaines, il se tramait une chose incroyable dans mon sapin vert que je suis la seule à voir quand je bosse. Une chose super émouvante et super captivante. Une chose qui a rapidement troublé ma quiétude et m'a déconcentrée de mon travail captivant.
Deux pigeons se préparent pour un heureux événement. Enfin pas des pigeons, des tourterelles, il paraît. Bien plus joli. Racé. Distingué. Mince. Gris clair avec un petit liseré noir en guise de collier. Un peu comme ces oiseaux blancs qu'on lâche pour une occasion super particulière. Comment ça s'appelle déjà ? Remi Brica en avait toujours sur l'épaule (C'est la vie, en couleurs, tiens voilà le marchand de ballons...). Et me voilà sur Google à chercher « oiseau de Remi Brica », « oiseau que Remi Brica avait sur l'épaule », en vain. Puis je pense aux occasions pour lesquelles on lâche ces oiseaux blancs : mariage, commémoration, symbole de paix. Bingo : des colombes.
Je n'ai bien sûr pas immédiatement compris, passque moi, ma bonne Dame, je me concentre sur mon travail hein, savoir sur les clients toujours adorables au téléphone, sur les courriers passionnants à rédiger, sur les fournisseurs à engueuler passqu'une clé USB, c'est censé fonctionner et pas faire émettre au pc des messages abominables genre « le péripérique n'a pas été reconnu ». Mais mon attention était attirée, régulièrement, par du mouvement, là, sur ma droite. Ben oui, à force d'avoir vue sur un sapin vert, qui est, par définitition, totalement immobile, dès qu'un moustique se pose sur une branche ou qu'un escargot entame l'ascension de ce Mont Vert, mon œil de lynx myope repère son manège.
C'était un ballet incessant, je ne vous dis que ça. Pire que le bagne, hein, de construire un nid, brin après brin. Et donc, à chaque minute de la journée, de 7h30 à pas d'heure (impossible de vous dire quand ces bestiaux se couchent, j'avais quitté le bureau bien avant), j'ai pu les observer. Et que je m'envole pour revenir deux minutes plus tard, bec chargé d'une brindille. Et que je reparte me poser sur un autre sapin (là où je bosse, c'est comme les Carpates sans Dracula, ou sans le monstre qui tue les pauvres fadas d'alpinisme dans Vertige, ce film abominablement angoissant dont je vous ai parlé) pour y voler de petites branches mortes. Et que je reparte et reparte encore. Rien qu'à les regarder, j'en étais épuisée.
Et puis le ballet a cessé.
Le nid était trop profondément enfui dans les branches pour que je puisse le distinguer. J'ai bien envisagé le coup de l'échelle posée sur le tronc, mais va savoir si ces bestioles là, pigeons, colombes, tourterelles, ne deviennent pas d'une agressivité hitchcockienne s'ils se sentent menacés par une maladroite et pleine de vertige Anaïs juchée sur son échelle ?
Donc je me suis abstiendue et j'ai continué ma petite vie, imaginant bien que les naissances, enfin les pontes, avaient eu lieu et que miss tourterelle couvait. Pour palier à ce manque cruel de volatiles, je me suis concentrée sur les cygnes et autres oies que j'ai photographiés comme si que je voulais en faire un livre et tout et tout.
Et un matin... un matin...
J'aurais aimé vous dire : « un matin, j'ai entendu un léger « toc toc » contre la vitre, un petit frottement d'ailes sur mon appui de fenêtre, et de petits gazouillis : miss tourterelle était venue me présenter ses bébés ». Mais ça, c'est dans les contes de fées.
Un matin, j'ai enfin revu une tourterelle. Enfin deux. Qui se bécotaient. J'ai dit à Mostek « rhoooooooooo viens voir, y'a les tourterelles qui se font des mamours sur la branche ». Et quand on s'est approchées, on a réalisé qu'en fait il y en avait trois : miss tourterelle, bébé tourterelle 1 et bébé tourterelle 2. Et qu'en réalité, miss tourterelle ne bécotait personne : elle nourrissait sa progéniture. Progéniture déjà quasi adulte, puisqu'ayant quitté le nid, mais toujours avide de la boustifaille apportée par môman. Y aurait-il des Tanguy dans le règne animal aussi ?
Très rapidement, j'ai réalisé que cela ne durerait plus. Les petits restaient toute la journée sur la branche, commençaient à battre des ailes et à montrer des signes d'impatience.
Et un beau matin, en effet, ils avaient disparu.
Quitté le nid.
Partis pour vivre leur vie de tourterelles devenues adultes.
Je reste là, seule, avec mon PC pour compagnon (et Mostek comme gai luron, ouf), les clients toujours adorables au téléphone, les courriers passionnants à rédiger et les fournisseurs à engueuler.