Magazine Journal intime

Voyage en train

Publié le 07 mai 2007 par Mirabelle

Elle l'avait quitté, cet après-midi. Elle avait récupéré ses affaires. Pris le train. Et elle était partie. Sans un mot, sans une explication, profitant de son absence. Aveu de faiblesse. Inévitable. Tu n'es pas la femme de ma vie... Alors elle avait pris le train. Sans un mot. Sans une explication. Parce que le rêve s'était brisé, net. A quoi bon faire semblant ?
Elle regardait défiler les paysages. Son portable vibrait dans sa poche. Comédie classique d'une histoire à l'agonie. Elle ne répondit pas. A quoi bon faire semblant ? Il lui aurait dit qu'il l'aimait, qu'elle lui manquait trop. Il aurait gémi. Elle n'était pas dupe. Il l'aimait quand elle fuyait. Jamais quand elle était là, discrète, patiente. Jamais vraiment. Ou... Mal. Il l'aimait mal.
Elle n'aurait pas pu le lui dire en face. Les mots se seraient cassés dans sa gorge. Trop définitifs. Des mots qui font peur. L'impression de se précipiter dans le vide. Ne pas avoir le choix.
Tu n'es pas la femme de ma vie... Entre le fromage et le dessert. Comme de la pluie et du beau temps. Elle avait ravalé ses pleurs. Prétexté qu'elle allait chercher le poivre pour aller sangloter dans les toilettes. Se cacher. Se dire que c'était ça, au fond, leur histoire : être condamnée à pleurer, seule, dans les toilettes... Alors elle avait pris sa décision. Elle allait le quitter. Elle s'était rassise avec un sourire figé, tandis qu'il lisait le journal et commentait les derniers résultats de football, sans deviner le moins du monde quel impact avait eu cette simple phrase sur sa compagne. Il l'avait perdue.
Les paysages défilaient, dans une sorte de continuité changeante. Elle se dit qu'au fond, c'était ça, la vie. Défiler à toute vitesse et changer de paysages, tout en tentant de conserver une certaine cohérence. Un semblant d'harmonie entre les couleurs. Son portable recommença à vibrer dans sa poche. Il insisterait jusqu'à ce qu'elle réponde. Elle ne décrocherait pas. Cela aurait été comme avouer sa faiblesse. Sa dépendance. Le manque. La résignation.
Tu n'es pas la femme de ma vie... Le ton était clair, anodin. Elle avait compris qu'il se contenterait de cette médiocrité. D'elle, comme d'un meuble, comme d'un prix de consolation. Symbole de renoncement, renoncement à ses rêves de grand amour. Il était prêt à accepter une relation tranquille, sans passion, bercée par la télévision, les courses, le ménage. Tout en sachant qu'elle n'était pas la femme de sa vie. Pourquoi une telle contradiction ?
Alors elle avait pris le train. Elle était partie. Avec encore au ventre un rêve de mieux. Et aussi la douleur de l'aimer encore. Tu as brisé mes rêves, lui avait-il dit un jour. Il y a longtemps. Pourtant, il était resté. Pourquoi rester sans rêve ?
Le téléphone vibrait encore dans sa poche. Elle eut envie de pleurer, tout à coup. Elle se revit, elle le revit. Jeunes amoureux. Seuls au monde. A se découvrir. Tu es parfaite, lui avait-il dit, un soir, tandis qu'il caressait ses courbes, serré tout contre elle. Avoir un enfant de toi ne me déplaîrait pas... Où était donc cet homme ? Qu'étaient devenus ces mots, ces mots d'amour absolus, tendres, pudiques, sincères ?
Elle était là, dans ce train, recroquevillée sur la banquette. Et le téléphone sonnait toujours. Elle avait envie de pleurer. Parce qu'elle l'aimait toujours. Pourquoi les femmes sont-elles si faibles ?
Il faudrait tenir. Résister. Jusqu'à ce que le temps panse les plaies. Jusqu'à ce qu'elle cesse de l'aimer.
Elle entendit le contrôleur annoncer le terminus.
Alors elle descendit.
Tu n'es pas la femme de ma vie...


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