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Trois amis

Publié le 11 décembre 2007 par Frédéric Romano
- Moi : J’en ai marre, plus personne ne m’appelle !
- Ma mère: Ho mais tu sais les amis…
- Moi : Mais quoi les amis ?! 
- Ma mère : Et bien les amis, ça va, ça vient…

Ce dimanche là, Hubert était perdu dans ses pensées. Il s’était souvenu du bungalow dans lequel il avait grandi avec sa sœur. Il y jouait sur un tapis rêche jaune et bordeau, entre le divan et les fauteuils en simili cuir brun foncé. Chez sa grand-mère, il se tenait toujours bien sage en tripotant les floches de la vieille nape poussiéreuse. Il jetait de temps en temps un regard vers le portrait de mineur qui trônait au dessus de la cheminée. Cela l’effrayait mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Ce matin là Hubert pensais à tout ça, quelques minutes seulement, puis il n’y pensais plus.

Petit, Hubert avait des amis. Il y avait Matisse qui était le fils du boulanger et René, donc la mère était infirmière. Ils s’entendaient bien tous les trois. Ils formaient une belle équipe. Matisse, souvent, disait en bombant le torse : “Mon père il travaille à partir de quatre heures du matin !!!” et René lui répondait bruyamment : “Ma mère, elle, rentre à six heures du matin quand il y a beaucoup de boulot à l’hôpital“. Hubert les écoutait attentivement et ajoutait avec une certaine fierté que son père à lui servait l’État et que, sans lui, ils n’auraient pas la chance d’avoir le téléphone chez eux. En réalité, Hubert n’aurait jamais pu expliquer pourquoi il parlait si glorieusement de son paternel et, sans doute, à l’époque, n’importe quel enfant aurait été fier de dire que son papa était “fonctionaire”.

Il passèrent leur enfance ensemble, chez l’un et chez l’autre, à tour de rôle. Bien que leurs parents ne se soient jamais parlés, ils se sentaient aussi bien chez eux dans le bungalow d’Hubert, que dans l’appartement de René ou dans la villa de Matisse. Leur terrain de jeu était la rue et le parc de la ville dans lequel, en été, ils traînaient jusqu’à des heures tardives. Parfois, la mère de René repassait par l’avenue du parc pour embarquer son fils après le service du soir. Les deux autres patientaient avec lui à l’arrêt de bus en shootant doucement dans des canettes. René scrutait l’arrivée de la Volvo de sa mère, adossé au réverbère.

La dernière fois qu’ils traînèrent ainsi à l’arrêt du bus cent quatre-vingt un, ils devaient avoir dix sept ans. La Volvo ce soir là avait beaucoup de retard et la nuit était déjà tombée. Les trois jeunes garçons ne disaient rien. Ils entendaient le vent souffler dans les arbres du parc qui s’étendait derrière eux. Hubert se leva d’un coup et sorti de sa poche un canife. Il s’approcha du réverbère et gratta sur le pied de bronze la forme d’un triangle et, à chaque angle de celui-ci, les lettres “H”, “M” et “R”. Les deux autres s’approchèrent. Ils se regardèrent tous les trois et approuvèrent en souriant cette trace dans le métal, preuve de leur amitié. Hubert et Matisse finirent par racompagner René à pied. Quand il arriva à l’appartement de sa mère, la police l’attendait. Une voisine se précipita sur lui et le pris dans ses bras. En sortant du parking de l’hôpital, un camion avait embouti la Volvo. La mère de René n’avait pas survécu.

À partir de ce jour, les trois inséparables se virent de moins en moins. René peinait à payer les dettes que sa mère lui avait laissées en guise d’héritage, Matisse rentra l’année d’après à l’université et Hubert fit ses premiers pas dans l’administration. Des jours, des saisons et des années passèrent.

Ce dimanche là, Hubert était perdu dans ses pensées. Assis dans un divan en simili cuir, il attendait le souper que sa femme préparait dans la cuisine. La sonnette retenti. Il se leva et alla ouvrir la porte. Il se retrouva en face d’un homme de taille et d’âge moyen, brun, mal rasé, vêtu d’un long manteau en feutre déchiré aux coudes. “Hubert ? Tu me reconnais ? C’est moi Matisse… ça fait bien logtemps…“. Hubert le regarda stupéfait, légèrement horrifié. “Hubert, tu dois m’aider. C’est René, il a besoin de nous… je t’en supplie ! Le triangle et les lettres gravées sur le réverbère ! Rappelle-toi Hubert !“.


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