C’était un soir, ma grande et moi étions dans le salon, assises sur le canapé. Petit moment câlin volé à nos folles journées… Ca criait chez les voisins du dessous. Comme d’habitude. A quoi j’ai répondu « chez nous aussi, ça crie parfois ». Et ma grande me regarde, de ses grands yeux verts qui me font tant chavirer et me répond : « Oui, mais toi, tu dis pardon ». Et mon cœur a bondi. L’émotion s’est amassée dans ma gorge en quelques secondes. Tant de choses sont venues s’y loger, en une fraction de seconde…
C’est si difficile d’être mère. Je veux dire, pas seulement d’avoir l’enfant, pas seulement d’être là et de ‘jouer à la maman’, de faire ce que l’on croit bon, d’essayer de faire dans la vraie vie comme on lit les conseils de spécialistes en essayant de ne pas être ni trop injuste, ni trop sévère, ni trop laxiste, en laissant par ailleurs du temps à tout : la mère et la femme, celle qui travaille, celle qui aime, celle qui joue, celle qui éduque… C’est si difficile et il faut tellement pouvoir se tourner vers autrui, ne plus être seulement centrée sur soi, tout en ne s’oubliant pas…
Je me suis haïe en mère pendant si longtemps. A tout tenter pour sourire, pour feindre quand c’était le chaos à l’intérieur de moi. Lorsque les nuits n’étaient jamais pour dormir ou si peu, lorsque les petites ne faisaient rien sans moi : ni manger, ni s’habiller, ni parler, ni jouer, ni marcher, ni découvrir… C’était si dur. On ne le dit pas assez. On nous rebat les oreilles avant d’avoir des enfants : « Vous verrez, c’est merveilleux ». Quelle bande de menteurs… C’est merveilleux après. C’est d’abord usant, culpabilisant, fatiguant, déprimant. Et il faut tellement tout bien faire comme il faut.
Et tous ces livres, magazines, préceptes de pédiatres, la bonne morale par-dessus, et les projets de loi discutés. Tout est fait pour rendre notre tâche aussi ardue que possible. Pour rendre nos choix aussi cornéliens que possible : faut-il punir ? Faut-il donner une fessée ? Faut-il gronder ? Comment jouer à chaque âge ? Quand faut-il diversifier ? Que leur donner à manger ? En quelle quantité ? Combien de temps doit durer le bain ? Combien de temps entre chaque biberon ? Tout est si théorique, tout est si précis, tout est tellement peu naturel… Et les risques ceci. Et les risques cela. « Oh surtout pas faire dormir ton petit sur le ventre, tu n’y penses pas, as-tu lu les statistiques ? ». Non, j’ai pas lu les statistiques, tu les lis, toi à chaque fois que tu prends ta caisse, ou chaque fois que tu dépasses la vitesse de 10km/h ??? Non. Bien sûr que non. Et heureusement, sinon on ne vivrait que dans la peur. La peur constante de mal faire, de se planter ou de mourir, ou de faire mourir. Celle qui fait culpabiliser du moindre choix qui s’impose…
L’instinct. Suivre son instinct, parfois, parce qu’on sait, nous, en temps que mère ce qui est bon pour notre enfant…
Longtemps je n’ai pas aimé la mère que j’ai été. A fleur de peau. Prête à hurler pour le moindre truc qui allait de travers. Prête à renoncer si souvent. Les larmes aux yeux ou dans la gorge de ne pas savoir y faire. Regardant ma petite âgée de quelques mois à peine, chercher le réconfort et le sommeil dans ce petit lit qui paraissait alors si grand autour d’elle, alors que ses pleurs loin de s’apaiser contre mon sein, s’amplifiaient à tout rompre. Le cœur en vrille de ne pas savoir bercer mon bébé… Ce sentiment d’impuissance qui me prenait toute entière et me faisait tant culpabiliser. « Quelle mauvaise mère, je suis »… Pensais-je alors…
Et je l’ai pensé si souvent. Lorsque les nerfs me lâchaient. Lorsque je n’arrivais pas à tout faire en 24 heures. Lorsque les filles criaient, ou pleuraient ne sachant pas encore parler, ne pouvant pas encore dire ce qui les tourmentait. Et moi qui essayais de deviner, qui n’y parvenait pas. Puis les assiettes qui tombaient par terre, les choses cassées parce que les gestes n’étaient pas encore maîtrisés, et puis les tests. Tant de tests pour connaître les limites de maman. Et ne pas renoncer, les mettre, les dire, les imposer. Et se détester de crier, de mettre une tape, petite ou plus grande parce que dans sa propre tête c’est tellement le chaos qu’on ne peut pas prendre le temps. Le temps on ne l’a pas, jamais ! Comme une sensation constante d'avoir toujours un ou deux trains de retard ! Alors on crie, on s’énerve, on perd patience et on pète les plombs ! Comme une sensation d'être toujours entre deux eaux, prête à couler, et tenter malgré tout de rester à flots... La chute toujours à côté de soi, et cette sensation d'échec qui nous colle à peau.
Et même une fois partie, et même une fois chez moi, et même une fois les filles un peu plus grandes... Il faut le temps, beaucoup de temps pour apprendre. Pour aller au-delà de soi, pour guérir ses propres tourments pour être enfin ouverte totalement à ses enfants. J'aimerais que le travail sur soi comme j’ai pu le faire, ne soit pas entaché d'une aura si péjorative. Non, un travail psy ce n'est pas un travail pour les "fous". C'est une aide inestimable qui est offerte pour se trouver soi-même au-delà de tout ce qu'on peut traîner de si lourd et encombrant et qui s'avère après tout le déroulement, si inutile. Toutes ces barrières que l'on se crée malgré soi à la paix intérieure. Ce devrait être remboursé par la sécu. Et je ne parle pas du travail psy, comme c'est montré dans la plupart des films, les analyses qui durent 15 ans et qui ne règlent aucun des soucis qu'il est censé résoudre, où le praticien ne fait qu’empocher des sous pour écouter et aiguiller d’un mot savant pour remettre à la fois prochaine la suite incessantes de confessions infructueuses. Non, je parle d’un vrai travail, d'une vraie coopération, un vrai coaching, où le praticien s'investit autant que celui qui en a besoin pour connaître d’où l’on vient et pourquoi. Pourquoi on est devenu ce qu’on est devenu. Pourquoi on se traîne tout ce barda et les raisons pour lesquelles on laisse jouer tous ces enjeux malgré soi... Et guérir de sa propre histoire, de tout ce qu’on a reçu ou mal vécu et qui pollue parfois tout ce que l’on peut être dans le présent, ou faire, ou penser, ou réagir…
Ce travail m’a permis d’être la mère que je suis aujourd’hui. Celle qui n’est plus hantée par son passé. Celle qui ne calque plus ses propres peurs sur ses enfants. J’ai lâché la froideur et la colère, celles dont j’avais héritées de ma mère et que je reproduisais indéfiniment comme une malédiction transgénérationnelle, souvent pour de mauvaises raisons, tout le temps, à vrai dire… J’ai lâché cette vérité ultime qui disait que « toi, tu te tais, c’est l’adulte qui a raison »… Ce poison qui m’a fait toujours chercher l’adulte hors de moi, même quand je l’étais devenue depuis longtemps. La vérité ne pouvant jamais venir de moi, toujours des autres. On m’a appris à ne pas me faire confiance. Oh, ils ne l’ont pas fait exprès. Ils ne pensaient pas que ça dériverait à ce point-là, et pourtant. Tant de tourments issus de ces vérités assénées, que je ne pouvais jamais réfuter pour faire entendre ma voix, ma différence…
Je fais mon possible pour laisser parler mes filles, pour les laisser s’exprimer. Et, lorsque parfois je m’énerve pour des broutilles, j’apprends à m’excuser. A leur dire « là, je n’aurais pas dû me mettre en colère, je l’ai fait pour de mauvaises raisons, j’en suis désolée ». Et je ne suis pas fière quand je le fais. Mais je veux juste leur montrer que je ne détiens pas la vérité, que ma parole peut être faillible, mais qu’elles peuvent me faire confiance parce que je suis juste. Et pour moi, c’est fondamental. Et j’aime tant voir qu’elles ont compris ! Ecoper d’un « je t’aime » de ma petite, suite à une remontrance, expliquée et comprise parce que justifiée. Voir qu’elle oublie immédiatement parce que c'est catalogué, dans l'immédiat de l'explication donnée…
Et maintenant, parce que je suis tournée vers elle, que j'ai réglé tous les couacs du moi, que l'organisation est rôdée,
j'ai toujours un train d'avance. Cela me permet d'anticiper, de ne pas me laisser surprendre, de réagir dans l'immédiat, de ne plus me laisser déborder et de faire des surprises, des choses un
peu différentes de d'habitude parfois, de passer un temps infini à câliner mes filles, leur raconter des histoires ou leur chanter des chansons, ou danser même. Et puis aussi parce que j'ai
trouvé ma perle de Phin, qui est d'une patience et d'une tendresse envers elles qui me touche à chaque instant. Il est là, il prend sa place, auprès de moi et auprès d'elles. Sans brusquer les
choses, ni s'imposer, il est là, à l'écoute et je sais qu'elles savent apprécier cette discrétion autant que sa présence qui prend tellement "soin" de nous...
Mes filles partent en vacances vendredi prochain et je ne les retrouverai qu’en août. J’ai mal de les laisser vivre leur vie pendant ces semaines. Pas une souffrance égoïste qui fait dire « elles sont à moi, pour moi » ou « comment vont-elles faire sans moi »… Elles feront très bien sans moi, parce que d’autres s’en chargeront. Ils ont toute ma confiance. Mes filles ne sont pas à moi, elles sont à elles seules. Et c’est Khalil Gibran qui le dit le mieux « Vos enfants ne sont pas vos enfants. ( …) Ils viennent à travers vous mais non de vous. Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne sont pas à vous. Vous pouvez leur donner votre amour, mais pas vos pensées. Car ils ont leurs propres pensées. (…) Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux, mais ne cherchez pas à les faire à votre image. Car la vie ne marche pas à reculons, ni ne s'attarde avec hier. »
Et je suis fière de leur permettre de passer des vacances merveilleuses avec leurs grands-parents, à vivre d’autres choses, à voir d’autres visages, à vivre d’autres journées, avec d’autres règles que les miennes. Je ne détiens pas la vérité pour elles, mais une vérité, une seule dans la multitude des bonnes choses qu’elles ont à vivre. Toutes les expériences sont bonnes à vivre, avec les gens qu’elles aiment. Je leur dis au-revoir à l’intérieur de moi depuis une bonne semaine. Petit à petit, je me fais à l’idée, difficile, de ne plus leur donner de baisers, de ne plus les serrer dans mes bras, de ne plus leur chatouiller les joues de mes cils-papillons, de ne plus leur glisser de je t’aime à l’oreille, de ne plus les regarder grandir et s’épanouir de mes yeux avides. Je m’y prépare doucement, préparant la mère à la mise en veille, mon cœur hurlant tout mon amour, mon cœur vrillé à l’idée de les donner mais ne pas leur dire est ma victoire. Ne pas leur demander si maman va leur manquer est ma victoire. Elles ont tant de belles choses à vivre hors de moi et plus vite elles y seront préparées, au plus le départ du nid leur sera plus facile. Mais je ne les prépare pas seulement à partir. Je leur dis aussi que je serai là à leur retour, toujours…
Je voudrais parfois pouvoir leur montrer mon cœur à nu. Tout ce qu’il éprouve pour elles. Tout ce qu’elles m’ont permis pour être cette mère aujourd’hui. Et cette femme qu’elles regardent de tout leur yeux quand je me prépare et qu’elles m’abreuvent de « tu es belle maman ». Mais si seulement elles savaient que je suis bien parce qu’elles sont. Parce qu’elles ont été, un jour. Parce qu’elles sont sorties de moi et m’ont amené vers ma vie, tout doucement…
Vers la plus belle des vies.
Pour moi.
Pour elles…