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L’enfant parut amusée :
« Vous pouvez toujours essayer, finit-elle par lâcher sans plus.
- Merci, mon petit. »
Soulagée, Sœur Mérédith inclina la tête.
« Je suis certaine que j’y arriverai ! »
France haussa un sourcil, examinant la religieuse sans vraiment comprendre ce que cette dernière désirait en réalité. Sœur Mérédith s’en rendit compte, comme elle fut soudain persuadée que seule la franchise aurait quelque chance d’attirer son intérêt.
« J’ai pris le voile, France, parce que… Parce que c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour… euh ! Pour me rapprocher d’enfants comme toi, à la merci d’un monde cruel et sans pitié… »
Etonnée par le ton hésitant de sa voix et la légère rougeur qui envahit son visage, France eut un sourire en coin :
« Vous mentez, Sœur Mérédith ! » Dit-elle.
Mais la religieuse fit comme si elle n’avait pas entendu, subitement toute pâle.
« J’ai pris le voile, continua-t-elle, sans oser croiser son regard suspicieux, parce que moi… fille de riches propriétaires terriens, je… J’ai… je crois que Dieu est bon et qu’en chacun de nous il a mis l’amour du prochain…
- L’amour dont vous parlez n’existe pas, Sœur Mérédith ! L’interrompit France.
- Si ! Mon petit ! Il existe ! Insista la religieuse. Dieu l’a créé pour apporter du réconfort dans le cœur de tous les hommes !
- Vraiment ? Alors pourquoi les gens que je croise s’arment de bâtons pour nous chasser ? »
Les traits de l’enfant étaient sévères, implacables. Sœur Mérédith détourna les yeux, mortifiée, sans trouver les mots pour lui répondre. France eut un nouveau sourire, amer celui là, très amer.
« Ne me parlez pas de ce que vous appelez un Dieu bon et généreux ! C’est un mensonge !
- Tais-toi ! »
Subitement Sœur Mérédith semblait courroucée :
« On ne doit pas parler comme ça ! On ne doit pas, tu entends ! »
France se hérissa, comme si elle venait de lever la main sur elle :
« Je le dirai, que cela vous plaise ou non ! Je dis ce que je pense, toujours. Et personne ne me fera dire quelque chose que je ne pense pas. Vous, vous vous cachez derrière vos croyances parce qu’elles vous aident sans doute à oublier. Moi, j’ai des yeux et je vois. Je n’ai rien à oublier… ou à payer. La différence ? Vous courez après un rêve, Sœur Mérédith, moi non. Vous pensez que j’en ai le temps ? C’est le privilège de ceux qui n’ont pas eu besoin de se battre pour vivre. Je n’en fais pas partie et ils seront toujours d’un autre monde à mes yeux. D’accord ? »
Elle la fixait sauvagement, la balafre virant au violet sous la colère. Sœur Mérédith resta bouche bée, affreusement ébranlée par la réplique cinglante de la fillette.
« Tu as donc tellement souffert du monde, ma pauvre enfant ? »
France haussa les épaules sans répondre, les lèvres pincées.
« Oh ! S’exclama la religieuse, au bord des larmes. Oh ! Comment pourrais-je te faire croire en ma sincérité ? »
France lui jeta un coup d’œil rempli de pitié :
« Je crois en votre sincérité, dit-elle gravement, vous pensez tellement ce que vous dites ! Mais ce n’est pas ce que je pense. Ne m’imposez pas votre point de vue. Je ne vous imposerai pas le mien. »
Sœur Mérédith était bouleversée.
« Mais je voudrais tellement que tu comprennes !
- Et qu’est ce que vous voulez que je comprenne ? S’emporta France, excédée. Qu’un Dieu a créé des hommes bons mais qui savent uniquement se servir d’un fouet ? Qu’un Dieu aimant et généreux veille sur nous, tout en permettant que certains meurent de faim et que d’autres jettent la nourriture ? Qu’un Dieu juste et impartial regarde avec indulgence l’homme abattre d’un coup de revolver un petit garçon de cinq ans parce qu’il voulait simplement… guérir sa sœur malade ? »
France serrait les poings, le souffle rauque, le regard étincelant de rage :
« C’est ça que je dois comprendre ?
- Je… »
Sœur Mérédith se tordit les doigts, désespérée.
« Ecoute, France…
- Non ! Je peux essayer de comprendre beaucoup de choses, je comprends les désobéissances d’Alissa et la sagesse d’Adam, je comprends, mais ça ? Non ! C’est impossible de comprendre ça ! C’est impossible ! »
Sœur Mérédith lui prit impulsivement les mains et les pressa sur son cœur, des larmes plein les yeux :
« Tous les hommes ne sont pas mauvais, France ! Dieu a donné à chacun d’entre nous le pouvoir de choisir entre le bien et le mal. Il ne peut être tenu responsable de ce que certains aient choisi le malin ! »
Sans brusquerie, France la repoussa :
« Alors je le plains, votre dieu, Sœur Mérédith, s’il a espéré que les hommes choisiraient le bien. Personne ne sait ce que c’est le bien. Moi, je ne sais pas. Mais je sais ce qu’est le mal…