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Les Vanupieds (49)

Publié le 22 juin 2010 par Plume

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-  Ne sois pas aussi intolérante, je t’en prie, tu es encore si jeune ! L’homme est un être faible. Il faut lui pardonner. C’est plus facile de faire le mal que de faire le bien. Nous devons pardonner. Seul Dieu est amène à juger.

-  Sœur Mérédith, s’impatienta France, irritée, il vous faut comprendre une chose : nous ne sommes pas du même côté de la barrière. Vous parlez pour rien. Je ne vous comprends pas et vous ne me comprenez pas. Restons en là, d’accord ? »

Sœur Mérédith soupira tristement.

«  Est-ce que tu veux pourtant essayer de comprendre que c’est mon devoir de te convaincre ? Parce que je porte ce voile ? »

France se dressa d’un seul coup dans le lit, emportée par la fureur :

« Et vous, vous pouvez comprendre ce qu’est mon devoir à moi ? »

Elle tendit le doigt vers les deux enfants blonds qui travaillaient sans relâche sous le soleil, là-bas, près du hangar.

« C’est eux ! C’est de les protéger parce qu’ils sont trop confiants dans leur vision du monde ! Parce qu’ils ont dans le cœur quelque chose de merveilleux qui les détruira si personne ne leur apprend à s’en méfier ! Non, Sœur Mérédith ! Vous ne savez pas ! Vous ne connaissez rien ! Moi, je ne porte pas de voile mais je m’appelle France Célone et je suis l’aînée. J’ai pris des décisions que je regrette et qui me font cauchemarder la nuit mais c’était mon devoir ! J’ai abandonné ma petite sœur à la duchesse parce que c’était sa seule chance de vivre, je l’ai vendue même dirait Alissa, mais c’était mon devoir ! Mon devoir, à moi, Sœur Mérédith, c’est d’agir comme l’aînée, pour eux, Adam et Alissa, parce qu’ils iront un jour sur leur propre chemin et que je dois leur apprendre à y survivre ! Moi, je ne porte pas de voile et je ne rêve pas. Je n’ai rien à payer… Contrairement à vous, Sœur Mérédith. Mais le voile n’efface pas les souvenirs, pas vrai ? »

Elle abaissa le bras et s’appuya contre le montant du lit, haletante, posant des yeux tristement farouche et résolus sur la religieuse médusée. Cette dernière finit par sourire, d’un sourire qui tremblait. Elle tendit la main et toucha légèrement sa joue frémissante de révolte :

« Je… »

Elle déglutit difficilement.

« Je sais… »

Elle se pencha et osa effleurer son front de ses lèvres. Aussi bizarre que cela puisse paraitre, l’enfant ne broncha pas. Trop épuisée pour réagir davantage sans doute.

« J’ai mal abordé le sujet. C’est ma faute. Pourtant je voudrais que tu me croies quand je te dis que je te comprends. Est-ce que tu me crois, France ?

-  Je vous crois, murmura l’enfant avec une sorte de gentillesse.

-  Je te montrai quelque chose quand tu seras un peu mieux, reprit Sœur Mérédith, animée d’un nouvel espoir. Accepteras-tu de me suivre ?

-  Peut-être… »

Elle marqua un temps d’arrêt et la fixa droit dans les yeux :

« Mais avec Adam et Alissa. 

-  Oui, bien sûr. C’est promis. »

France parut satisfaite. Elle retrouva même le sourire.

« Vraiment, vous êtes bizarre, vous ! »

Sœur Mérédith se mit à rire.

« Ah ? Et pourquoi donc, mon enfant ? »

Le sourire de France s’élargit, l’air goguenard.

« Un, je ne suis pas votre enfant. Deux, vous êtes très gentille avec nous. »

Attendrie, la religieuse hocha la tête :

« Est-ce ceci qui est bizarre ?

- Oui.

- Mais c’est normal, France.

- Pas pour moi. »

Touchée, Sœur Mérédith resta une seconde silencieuse :

« Alors… C’est plus qu’un compliment dans ta bouche ? »

Le regard de la brune enfant et celui de la jeune femme se croisèrent. France ne semblait pas vraiment comprendre ce que signifiaient ses paroles.

« Je ne sais pas, répondit-elle, je le pense, c’est tout. »

Des larmes jaillirent des yeux émeraude de la religieuse :

« Tes propos me… me procurent beaucoup de plaisir, tu sais… »

France l’observa avec inquiétude :

« Pourquoi vous pleurez ?

- Parce que… Parce que je suis heureuse de t’avoir entendu parler ainsi…

- Ah ? Oui ? »

France était stupéfaite :

« Et comment ça se fait ?

- Voyons, France, on peut pleurer de joie !

- Ah ? Bon ? »

France écarta les bras, l’air navré. Sœur Mérédith éclata d’un rire franc et sonore :

« Mais bien sûr, ma chérie ! Oh ! Tu es absolument épatante, France, épatante ! »

L’enfant haussa les sourcils avec étonnement… Puis posa un doigt sur ses lèvres et réfléchit une courte seconde :

« La dernière fois que j’ai été épatante, raconta-t-elle enfin, c’est quand j’ai construit une broche pour faire cuire le lapin sur tous ses côtés… »

Sœur Mérédith rit de plus belle, et tant qu’elle finit par en pleurer. France s’en inquiéta à nouveau :

« Vous pleurez encore de joie ?

- Non ! Non ! Cette fois je pleure parce que je ris trop !

- Ah ? Oui ? »

France la contempla avec une grande pitié. Visiblement elle se demandait si la religieuse avait toute sa tête. Cette dernière essuya ses yeux à l’aide de son mouchoir, un beau mouchoir en soie blanche dans le coin duquel étaient brodé un M et un E. France remarqua les formes sinusoïdales et la qualité étonnante du tissu, se souvint que la duchesse en avait d’identiques, ce qui faisait une richesse plutôt détonante entre les mains d’une bonne sœur, mais elle ne fit aucun commentaire alors que la jeune femme en voile s’exclamait :

« Et bien ! Il y a longtemps que je n’avais pas autant ri ! Nous deviendrons de bonnes amies, toi et moi !

- Peut-être. »

Sœur Mérédith joignit les mains et lui sourit tendrement.

« Oui, tu as raison, peut-être. Au moins, tu ne perds pas le nord, France. C’est une grande qualité. Quoique tu fasses, mon enfant, tu le réussiras. Tu as le tempérament d’une gagnante. »

France réprima un sourire indulgent. Lewis lui avait dit la même chose. Elle finirait sans doute par le croire. Un jour.


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