Thibault ne compense plus. Les ressorts du lit s’enfoncent dans ses côtes et le blessent la nuit. Tant mieux. Il sue, il crie, il étouffe. Quand sa mère vient le voir, il ricane et se prétend être un fakir. Elle lui claque aussitôt le clapet :
- Tais-toi, tes dents vont tomber.
Thibault est en cure. On l’a arraché du monde omnivore pour qu’il puisse se soigner. Son eczéma est revenu mais ce n’est pas ça le pire. Thibault voudrait s’arracher la peau, les ongles, les cheveux, le cœur. Absurdité du système hospitalier : on lui a rasé les cheveux à son arrivée. Malheureusement pour lui, il a plus l’allure d’un jeune nazi qu’un apprenti bouddhiste.
Thibault se raconte des histoires. Il s’imagine être dans la série Point Break. Il voudrait sortir de cette prison. Le hic, c’est que ces compagnons de « cellule » ne sont ni des blacks à gros biscotos ni de mauvais garçons mais seulement des anorexiques sorties d’outre-tombe et des vieillards hurlants. Il n’a qu’une amie ici, un fantôme blond nommé Anna.
C’est mercredi, Esther est de visite. Thibault espère qu’elle apportera des lames de rasoir. Ses taillades se cicatrisent et il a peur. Il se demande pourquoi Esther continue à vouloir le voir, il n’a même plus le goût pour elle. Qu’importe, il a besoin d’elle.
Elle arrive. Les mains vides. Il n’y aura plus de coupure chaude, de sang qui coule âcre, de douleur minérale. Esther ne veut plus l’aider à s’automutiler en cachette. C’est fini, dit-elle et puis aussi, pour se la jouer gainsbourienne, je ne te suiciderai plus mon amour.
Ca, ça rend vraiment fou Thibault. Il pourrait la frapper mais ce n’est pas son genre. Il préfère encore se défenestrer. La vitre se brisera en mille morceaux et parsèmera son corps d’entailles délicieuses.
La chambre de Thibault n’est qu’au deuxième étage, il n’a qu’une jambe cassée et des éclats de verre éparpillés dans sa peau. Pour aujourd’hui, la crise est passée.