Magazine Journal intime

Scènes d'un trajet quotidien

Publié le 24 juin 2010 par Anaïs Valente

Il fait chaud dans ce bus.  Y'a plus de saison.  On ne sait plus comment s'habiller ma Bonne Dame.

Je tâche de suer en silence. 

Silence interrompu par une sonnerie téléphonique.  Et la conversation commence.  Ne devrait-on dispenser quelques cours préalables avant la vente de tout appareil ?  Comment apprendre à répondre discrètement, à parler doucement, à aller à l'essentiel, à raccrocher au plus vite.

Il est des jours où je me gave des discussions téléphoniques que je surprends dans le bus.  N'entendre que des bribes de la conversation ouvre la porte à toutes les supputations.  Elle dit « à tout à l'heure mon chéri ».  Parle-t-elle à son fils qu'elle va retrouver chez la gardienne ?  A son époux qui lui manque ?  A son amant qu'elle croisera pour une brève étreinte ?  A son rat qui l'entend via le répondeur ?

Mais aujourd'hui, pas moyen de me gaver.  Je n'y comprends rien.  Je n'y pige que dalle.  C'est pô du français ça ma bonne Dame.  Dommage, car elle crie tellement que tout le bus en profite.  Je comprends juste un « à tout à l'heure mon chéri ».  Elle traîne une grosse valise.  Repart-elle au pays ?  En vacances ?  Ou simplement chez son amoureux ?  Je perçois une tension dans le bus.  Les passagers sont exaspérés par cette conversation qui dire.  Le chauffeur se retourne à plusieurs eprises.

Et moi j'ai chaud et je continue de suer en silence.

Arrêt.

Montent deux jeunes.  Genre loubard.  Genre racaille, comme on dit en France chez les gens bien pensant.  Je juge immédiatement.  Trop vite.  Car ils entrent et saluent bien poliment le chauffeur.  Chauffeur qui ne répond pas, tout comme il ne m'a pas répondu lorsque je l'ai salué.  Il rappelle sèchement les deux jeunes, exige de revoir les abonnements.  Qui sont faux.  Je n'avais pas jugé trop vite.  Petits loubards va.  Non mais.  Depuis que les chauffeurs ont des commissions sur les rentrées d'argent, ils ont un regain fulgurant de motivation.

J'ai toujours chaud et je sue toujours.

J'arrive à destination.  Enfin.  Un peu de fraîcheur.

Je me pose dans un coin.  J'attends.  Je regarde les voitures qui passent, qui passent, qui passent.  Une fourmilière.

Une voiture est en passe d'être dépassée par un scooter.  Par la droite ou par la gauche, je ne suis pas attentive.  Mon attention est brusquement attirée par le bruit de carrosserie écrasée.  Le scooter a-t-il tenté une queue de poisson ?  L'automobiliste n'a-t-il pas supporté de se faire dépasser par un usager dit « faible » ?   Toujours est-il que la voiture a violemment empêché le scooter de passer, provoquant ce bruit infernal.  Il doit y avoir de la casse.  Le scooter vacille mais reste debout.  Chacun continue sa route.  Ni constat, ni bagarre, ni excuses.  Drôle de vie.  Drôle d'attitudes.

Tout le monde triche, tout le monde râle, tout le monde agresse, tout le monde nargue.

J'ai besoin de noter tout ça.  Je trouve un bic indélébile et ma fiche de paie, en boule dans mon sac.  Mon écriture a une forte odeur.  Une très forte odeur.  Une très très forte odeur.  Et mon bic colle.  Colle fort.  Colle très fort.  J'en décolle un bout de Leerdammer light, arrivé là par je ne sais quel miracle miraculeusement miraculeux.  Keske ça sent le Leerdammer light.  Je macule ma fiche de paie de ma petite écriture serrée illisible.  Au moins, ça peut servir, une fiche de paie.  Sans rien dessus, passque ce mois-ci, ma bonne Dame, j'ai rien gagné.  Ce sont des choses qui arrivent.  Changement d'horaire, changement de salaire.  Rassurez-vous, c'était prévu.  Mais ça fait bizarre.

J'ai fini de noter, je rentre chez moi, en passant par la case cygnes, où les bébés grandissent en beauté. Et calmement.  Sans de disputer.  Sans tricher.  Sans râler.  Agresser.  Narguer.  Quoique... que seraient-ils prêts à faire pour un ver de vase ?

C'était l'ambiance dans ma petite ville de province.

cygnes



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