Voilà deux jours, je recevais une lettre de refus à une candidature où j’avais postulé. Bien plus désarçonnée par la réponse papier à ma demande électronique que par ce nouvel échec cuisant de recherche d’emploi-de-merde-ma-vie-est-terminée-je-ne-trouverai-jamais-de-boulot-taille-moi-les-veines-avec-une-feuille-de-papier, j’en aurais presque ri.
Du papier ? Du courrier dans ma boîte aux lettres autre qu’une pub pour le sushi du coin (eh ouais, les pizzas c’est fini, mettez-vous à la page) ou pour une agence immobilière ? Purement anachronique, j’irai presque jusqu’à dire totalement dingo, non ?
Je l’ai décacheté, tremblante, et un flash m’a soudainement frappé, presque à la manière de Bachir et sa valse, mais en moins dramatique. Vous savez bien, ce moment fatidique où l’on a l’impression que cette lettre pèse trois tonnes tant elle porte le poids de notre avenir ? Ben, c’était pas ça, pas vraiment. Ça aurait pu l’être, voilà sept ou huit ans, mais plus aujourd’hui.
L’écriture meurt, un peu plus chaque jour. Pas le concept figuré de l’écriture, mais bien l’acte de tenir un stylo entre notre pouce et notre index, bien appuyé contre la combinaison étudiée de nos trois autres doigts. Vous ne vous rappelez peut-être plus, mais au lycée, vous aviez une petite bosse sur le majeur, souvenir impérissable et disgracieux de ces heures passées à gratter frénétiquement le papier.
Exit les gommes sur nos HB, nous avons le Control+Z. Plus besoin de papier et de crayon pour noter un numéro de téléphone, nous avons le Bloc Notes dans les Accessoires, à côté de la Calculatrice (j’avoue ne pas spécialement me plaindre de ne plus « poser » mes divisions sur une feuille et de ne plus retenir quatre à ma multiplication). Nous avons désormais adopté un autre réflexe, d’une toute autre nature, qui a le vilain avantage de ne plus nous muscler la main, mais le bout des doigts, et franchement, ça sert à quoi d’avoir le bout des doigts musclés ? Vous me direz, les mains musclés, ce n’est pas spécialement glamour non plus.
Repensons avec nostalgie à l’époque où nous envoyions nos lettres de motivation et CV écrits à la main. Oh, ça va, je ne suis pas si vieille que ça. Ces heures perdues à écumer le tas de feuilles blanches à cause d’une faute d’orthographe, d’un stylo qui bave, d’une écriture en « crottes de mouche ». Et la photo, maladroitement collée dans l’angle droit à l’aide de notre UHU scolaire qui ne collait pas, et que l’on se résignait à méchamment agrafer par agacement.
Baisser les bras devant la machine, affirmer que préférer le flambant neuf clavier au vieux papier peut nous jouer des tours. Comme ce foutu correcteur orthographique discriminatoire sur Word, qui souvent, ne veut pas m’accorder les participes passés au féminin. Comme ce langage SMS incompréhensible et à la limite du supportable.
Aidés du sentiment écologiste qui s’empare de notre société, nous refusons de plus en plus le papier, sous prétexte de gaspillage. Il y a du bon sens dans cette démarche, mais pousser le concept à son paroxysme serait ouvrir la porte à tous les iPad.
Un ami étudiant dans l’édition me racontait cette anecdote :
« Dans le métro, un mec est venu faire la manche. J’ai commencé à m’intéresser à ce qu’il disait quand il a raconté qu’il avait monté une maison d’éditions voilà dix ans, mais qu’à présent, il était à la rue. »
Puisque nous vivons certainement nos dernières années d’écriture, je souhaite mettre la main à la pâte, à mon niveau. Ainsi, je vous saurai gré de me faire parvenir tous vos commentaires par courrier. Et j’espère bien que ma boîte aux lettres sera remplie à ras-bord.
Crédit photos : the trial et Markus Rödder @Flickr