À voir à la Fondation Gianadda: la plus belle exposition de l'été. Rétrospective 1945-1955.
Nicolas de Staël, aujourd’hui reconnu comme l’un des plus grands peintres du XXe siècle, mit fin à ses jours le 16 mars 1956 en se jetant du haut de la terrasse du fort désaffecté de la pointe du cap d’Antibes qu’il venait d’investir pour y brosser une toile de très grand format inspirée par un concert auquel il venait d'assister à Paris. Il avait 42 ans et se trouvait dans la pleine maturité de son art. L’année précédente avait été marquée, de fait, par une véritable explosion créatrice (plus de 300 toiles en six mois), mais ses amis les plus proches ne virent rien venir. Comme dans son œuvre, alliant une extrême tension sous-jacente et l’apparence du plus grand calme et du plus harmonieux équilibre, le peintre fut probablement dépassé par son exigence de renouvellement constant, jusqu’à l’ultime rupture.
Il faut alors rappeler que Staël vient de la sainte Russie orthodoxe qui le relie fondamentalement à Byzance où se ramassera sa dernière contemplation métaphysique. Fils du général Vladimir de Staël von Holstein, vice-gouverneur de la forteresse Pierre-et-Paul de Pétersbourg où furent enfermés Dostoïevski et Bakounine, Nicolas est né le 23 décembre 1913 (5 janvier du calendrier orthodoxe) et vécut avec les siens dans la forteresse fameuse jusqu’en octobre 1917, avant l’exil en Pologne où le général mourut en 1921. Un an plus tard seulement, Lubov de Staël, succomba elle-même au cancer, laissant trois orphelins (Marina, Nicolas et Olga) qui furent pris en charge, par l’intermédiaire d’une tutrice fantasque, par la famille de l’ingénieur Emmanuel Fricero, d’origine russe mais établi en Belgique.
Formé aux humanités classique dans un climat chaleureux, le garçon ne tarda à manifester le plus vif intérêt pour la peinture, avant de se mettre à dessiner sans discontinuer et à dire même son désir de devenir peintre, à l’inquiétude certaine de son père adoptif. Dès 1933, cette vocation ne cessera de s’affermir, d’abord au cours d’un premier voyage initiatique en Hollande, où il découvre Vermeer et Rembrandt, puis dans les écoles d’art où il va trouver quelques bons maîtres, dont le moderniste Georges de Vlamynck.
La peinture, au demeurant, devient LA préoccupation de plus en plus impérieuse et dévorante de toute une vie, marquée par quelques premiers soutiens (notamment de Jeanne Bucher, qui l’expose, et de Jean Bauret, qui va l’accompagner jusqu’au bout d’un « œil » plus que sûr), ses premières expositions et quelques signes avant-coureur de reconnaissance.
L’année 1946 va marquer un nouveau tournant, avec la mort de Jeannine Guillou, le remariage avec Françoise Chapouton, l’installation dans le grand atelier de la rue Gauguet (XIVe) et la rencontre de Jacques Dubourg, autre compagnon de route dont l’amitié et la soutien compteront énormément dans les dernières années d’épanouissement et de plénitude.
Parallèlement, les amitiés de Braque, du poète Pierre Lecuire et de René Char, éclaireront ces mêmes années qui verront pourtant croître la solitude radicale de l’artiste.
Or cette immédiateté des perceptions explose, littéralement dans la fureur créatrice des quinze derniers mois, où naît encore un petit Gustave…
D’une merveille l’autre, la peinture exulte et s’allège, c’est la série des Agrigente et de paysages ou de natures mortes qui ne manifestent en rien un « retour à la figuration » régressif, mais une descente au cœur de la substance du réel.
« Staël, écrit encore sa fille, avait la faculté d’élever les événements à un degré de conscience tel qu’elle gagnait un « lieu » ouvert hors de toute ceinture logique, celui du sentiment de la justesse du ton de vie comme d’un ton de peinture ; celui du risque que prend la vie pour sa propre couleur. Le combat d’une palette ramassée contre l’incolore dispersé ».
Catalogue de l’exposition recommandé, avec une introduction substantielle de Jean-Louis Prat, commissaire de l’exposition, et une bio commentée d’Anne de Staël et l’ensemble des Œuvres exposées. Fondation Pierre Gianadda, 287p.
Egalement recommandés :
Daniel Dobbels, Staël. Chez Hazan, 247p.
Anne de Staël, Staël. Du trait à la couleur. Imprimerie nationale, 339p.