Cette période est traditionnellement marquée par les ordinations sacerdotales. Elles sont l'occasion de manifester les grâces d'une année particulière.
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Pour commencer vous trouverez le premier chapitre de ce livre que vous pouvez commander directement sur le site de France Catholique
Ce XIXe siècle qui fut qualifié - avec quelle fortune ! - de stupide, Jean de Fabrègues le voit surtout désespéré. « Il n'est qu'un désespoir, c'est de n'être pas désespéré », a écrit Kierkegaard. Le siècle qui avait cru, dans sa suffisance et sa « stupidité », faire de la terre un royaume suffisant à l'homme fut donc, nous dit Jean de Fabrègues, « la véritable époque du désespoir ». Or ce siècle avait eu son prophète, son apôtre, un humble curé de campagne, Jean-Marie Vianney, curé d'Ars.
Le livre ne prétend pas apporter de sensationnelles nouveautés, mais « les réactions d'un homme du milieu du XXe siècle à la mystérieuse tragédie d'un prêtre qui fut un simple curé et connut le désespoir ». Plus qu'une biographie édifiante, Jean de Fabrègues a écrit une biographie « harmonieuse ». De celui dont il a suivi la vie dans son cheminement quotidien, dans ses luttes avec le diable, ses tentations de fuir, ses miracles, de celui vers lequel les foules accouraient, Jean de Fabrègues nous dit à la dernière page de son livre passionnant : « C'était un prêtre de Jésus-Christ »
Georges DAIX
Jean de Fabrègues, « L'apôtre du siècle désespéré, Jean-Marie Vianney, curé d'Ars », 222 pages, 14,90 €. Réédition 2010, disponible en librairies religieuses (diffusion Serdif) à partir du 6 mars, ou dès aujourd'hui par correspondance auprès de France Catholique, 60, rue de Fontenay 92350 Le Plessis-Robinson, 19,90 € franco de port.
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Parution mars 2010
Chapitre I : Le Défi
Il arriva un jour de fin d'hiver. Sur la plaine où les eaux stagnent, le brouillard tombait. Le vicaire d'Écully avait fait dans le jour ses trente kilomètres, flanqué de la mère Bibost, suivi d'une voiture que ses maigres biens ne surchargeaient pas. Le chemin à pied, en ce temps-là, n'effrayait personne, et Jean-Marie Vianney moins que tout autre. Et puis, la route est propice à la méditation ; or, celui qui allait devenir le Curé d'Ars avait ample matière pour la sienne.
Ce qui occupait son esprit sur la route, il n'est guère sorcier de l'imaginer : il regardait les âmes qu'il allait évangéliser.
Il les voyait, et, d'elles à Dieu, son âme allait, comme aussi de Dieu à lui-même. Voir dans les âmes et prier, pour lui, c'est tout un, ce sera toujours un. Ce lien secret des cœurs et des âmes avec l'Éternel, c'est là qu'atteint d'emblée cet étrange scalpel spirituel qui lui a été donné. Il voit les âmes dans une lumière où le temps ni les apparences ne semblent avoir part. Mais aussi, et c'est l'autre face de ce miracle si uniquement spirituel que sa grandeur n'a pas toujours été aperçue, il ne se voit pas lui-même. Dieu, qui lui ouvre et lui ouvrira toujours les cœurs, qui les lui donnera à lire sans déchiffrer, sans même qu'il les connaisse. Dieu, qui lui offre ainsi un océan d'angoisse et de désespoir, lui a donné cette autre grâce affreuse et désespérante d'être inconscient de sa propre sainteté, de sa propre sanctification, de sa propre proximité de l'Éternel. Si bien qu'en même temps qu'il plonge dans l'infini des âmes malheureuses, dans l'infini des âmes mortes ou malades, en même temps qu'il porte leur maladie et leur mort dans un cœur débordant de l'amour divin et où tout ce qui n'est pas amour de Dieu devient plaie lancinante et inguérissable, Dieu qui lui donne tant de choses, qui lui fera tant de grâces, semble l'abandonner à ses propres forces. Plus même : sa tentation, toujours renouvelée, sera de se croire sans force, de se voir impuissant devant le péché, indigne et peut-être même, oui, sans doute, le cœur de sa tentation sera de se croire abandonné de Dieu. Le cœur de sa tentation sera le désespoir, non seulement de ces âmes et pour ces âmes dont il a vu le fond, mais de lui-même et pour lui-même. Car il ne sait pas, il ne saura peut-être jamais jusqu'à la fin, que sa tentation n'est que l'envers de la grâce infinie qui lui a été aussi donnée et qui le fait vivre, comme sans le savoir et dans une familiarité quotidienne, des dons de la plus haute mystique : ne plus exister à soi-même, ne plus exister pour soi-même.
C'est ce double poids, des âmes vers lesquelles il chemine et de soi-même, que l'ancien vicaire d'Écully porte lourdement en allant vers Ars dans la brume. D'Écully à Ars, il y a trente bons kilomètres, et non pas plats. Trente kilomètres dont le plus grand morceau avait dû être franchi dans cette épaisse et âcre brume des pays de Saône qui entoure les pas d'un voile infranchissable. Dans ce premier jour, le monde des choses ceignait l'ancien vicaire de la même chape sombre qui pesait sur son âme. Ce sera un de ses autres dons, que pour lui les choses soient toujours le reflet des âmes, qu'il voie au travers du monde comme au travers des cœurs. Écully, d'où il venait, c'était un peu et même beaucoup son pays. D'abord, c'était le pays de sa sainte mère, Marie Beluse. Et puis, d'Écully au village natal de Jean-Marie, Dardilly, il n'y a qu'une lieue. À Dardilly, le curé Jacques Rey (qui resta en place de 1753 à 1804) jurait tous les serments exigés. On préféra envoyer le jeune garçon apprendre le catéchisme à Écully et y recevoir pour la première fois la Sainte Communion. C'est d'Écully que, pendant tout le temps de la persécution, M. Balley et deux autres prêtres avaient continué de faire rayonner la Foi. À Écully que, pour la première fois au grand jour, Jean-Marie avait assisté aux offices dans l'église rouverte par M. Balley. À Écully enfin que le même M. Balley — naguère prêtre du diocèse de Blois, mais que la Révolution avait chassé et ramené à son pays natal — avait accueilli les premières confidences de Jean-Marie sur sa vocation sacerdotale.
À Écully donc, il était chez lui. Les trente kilomètres qui séparent Ars d'Écully font pour nous peu de chemin et il semble qu'aller de l'un à l'autre ne soit changer ni de pays, ni de manières. Pourquoi donc ce départ, cette arrivée, sont-ils alors une si grande aventure ?
Ce n'est pas que le nouveau Curé d'Ars répugne à quitter ce qu'il aime, à se séparer de ce qui peut flatter ses goûts, ses habitudes, ses affections. Qu'il ne craigne pas la souffrance, qu'il la demande même, il l'a montré déjà. Il semble ainsi qu'il ait dû accepter avec joie, avec reconnaissance d'être éloigné de ce qu'il aimait. Nous imaginons aisément de quel cœur il dut offrir ce qu'il en résultait de souffrance pour la tendresse qui l'habitait tout entier. Ce n'est donc pas de là que surgit l'angoisse qui l'étreint tandis que diminuent les kilomètres qui le séparent de sa nouvelle paroisse. Lorsqu'eut été franchie par l'humble cortège la crête qui, après la Saône, cache Ars dans une solitude lourde, lorsque la petite voiture, la vieille servante, le curé silencieux commencèrent de descendre le chemin qui mène vers les fonds du ruisseau qu'on nomme le Fontblin, non, ce n'était pas d'une angoisse humaine que se prenait le cœur du Curé d'Ars, et ce n'était pas la sueur du long chemin qui baignait sa chemise et ses reins, comme il arrivera si souvent désormais.
Ce qu'il avait demandé à son Maître, à son lointain et si proche Ami, à Celui qui dialoguait avec lui dans un mystérieux silence toujours peuplé, c'était de Lui amener, de Lui conquérir des âmes. Ces âmes à conquérir, les voici. Elles sont là, au creux du vallon, sous ces toits que la brume cache comme elles-mêmes sont séparées de leur Seigneur par le brouillard épais de la vie et du péché. Voici devant toi, ô présomptueux petit curé, ces âmes que tu as demandé de ravir à leur maître de la terre pour les jeter aux pieds de Celui du Ciel. Et te voici devant ta propre folie, devant ton immense vanité. Maintenant qu'elles te sont offertes, que, pour la première fois, dans les fonds nuageux où le soir tombe, elles sont jetées sous ton regard, voici que tu sais, du même coup, combien vaines sont tes forces, combien inexistantes, voici que tu sais que tu n'es rien, que tu n'as rien. Tu ne possèdes ni les talents des hommes, ni les dons de l'esprit, et tu as demandé la plus impossible des besognes : devenir un ravisseur d'âmes, les prendre à l'Autre qui les tient si bien, qui les garde si fort.
Voilà, du moins, ce qu'il pense tandis qu'il approche des toits qui lui sont désormais confiés. Ce qu'il pense ? Ce qu'il est de sa mission, de sa vocation de croire. Il est l'homme qui a demandé de faire le plus difficile, le plus impossible — non pas seulement de ratisser les jardins déjà cultivés, les pelouses régulières, de veiller sur les plantes que gardent, à l'abri des vents et des orages, une religion régulière, une prière fidèle, des sacrements reçus — non, mais d'aller à ce qui est perdu, et de le ravir à Celui qui perd. C'est là ce qu'il a demandé, et il sait, tandis qu'il descend vers les fonds brumeux où rien n'apparaît encore, qu'il a été exaucé et qu'il va commencer à recevoir sur lui, comme un énorme poids à porter tout seul, le monde infiniment lourd des âmes perdues, des désespérés, de ceux à qui Dieu ne parle plus. Il sait cela, et il sait aussi qu'il va falloir porter tout cela avec ses pauvres forces qui ne sont rien, avec un corps tout miné déjà des ravages de l'ascétisme, une âme pesante d'interrogations sans réponses, un esprit lourd, un vocabulaire où il se perd. Telle est sa mission : faire quelque chose avec rien, et que ce quelque chose soit l'infini du salut et pour une infinité d'âmes.
Nous savons, nous, ce qui était dans cette âme et dans ce cœur, et nous savons ce qu'il a fait. Mais lui ne le sait pas, et sa vocation justement est de ne pas le savoir et d'être jeté dans cette infinie distance entre ce qu'il a demandé de faire et ce qu'il est, d'y être jeté comme dans un désert, dans son désert — dans sa tentation. Pour que soit parfaite sa mission, achevée sa vocation, il faut qu'en lui s'unissent ces deux infinis, la conscience de son impuissance infinie, la croyance à sa pauvreté intellectuelle et spirituelle, et la présence de l'infinie déréliction des âmes perdues, de la distance sans limites qui les sépare de l'Éternel.
Il n'est pas possible que d'autres pensées que celles-là aient habité l'âme du Curé d'Ars en ce soir brumeux de février 1818 où il arrivait vers sa première paroisse. La crête qu'il vient de franchir n'est séparée du village ni par une grande distance ni par des arbres épais, la terre s'abaisse en moutonnements sans grandeur, la route mal dessinée se perd tantôt dans les champs, tantôt en simples chemins de terre qui égarent le voyageur vers des fermes inaperçues. Le poids de ses lourdes pensées, accroissant celui de la marche, s'abattait sur les épaules de Jean-Marie : il avait quitté sa route. Depuis déjà quelque temps, il lui semblait tourner sur place ; la charrette où les livres hérités de M. Balley étaient, avec le bois d'un lit, les seuls objets de poids, s'enlisait cependant dans l'argile trempée. Le cœur de Jean-Marie se serra d'impuissance, comme, tant de fois, il allait le faire au long de tant d'années. Et pourtant, près de lui, la mère Bibost n'avait pas peur… Un mouton surgi de la brume les conduisit à d'autres moutons : il y avait là des enfants bergers qui regardèrent avec étonnement, et d'abord avec un peu de crainte, l'étrange figure sortie du brouillard. M. Vianney demanda le chemin d'Ars. En vain ; les enfants parlaient le patois de la Dombe. L'un d'eux, tout de même, entendit la question et put désigner la route à reprendre. Et, comme l'enfant avait compris que le prêtre qui arrivait était le curé de la paroisse et lui disait que la limite en passait là même où ils étaient, M. Vianney tomba à genoux et il pria. Cette prière, nous en connaissons déjà tout le sens : elle va et revient de ce qu'il croit sa misère à l'infinie besogne qui l'attend… Mais il faut gagner Ars, car le soir tombe. D'ailleurs, après quelques pas encore, paraît dans le vallon la passerelle qui franchit le ruisseau, le Fontblin, et, tout au fond, un lot de masures grises au toit de chaume, une chapelle : « Que c'est petit ! » s'étonne M. Vianney. Il s'en étonne, car il sait déjà — oui, il sait déjà et c'est ce qui ajoute au poids de son âme — que là viendront par milliers se laver les âmes et se régénérer les cœurs. Il le sait et il le dira, avec cette étonnante et désarmante franchise qui livre à peu près tout à l'interlocuteur — à peu près tout, sauf l'indicible, cela qui ne lui est pas dit à lui-même, qu'il ne comprend pas lui-même, et qui l'accable : pourquoi lui, si faible, si indigne, si incapable ? Il le sait : « Je me suis dit, raconta-t-il plus tard au frère Athanase, que cette paroisse pourrait contenir plus tard tous ceux qui y viendraient. » Et, comme le frère lui demandait d'où lui était venue cette pensée : « Bast ! Il me passe tant d'idées baroques par la tête. »
À l'idée baroque, M. Vianney se jeta de nouveau à terre et, de nouveau, pria. Comme l'idée baroque doit peser sur cette âme : tant de pécheurs, tant de péchés, tant d'âmes ! Ah ! le vœu qu'il a fait est exaucé : les âmes qu'il a voulu ramener à leur Maître sont déjà là. Il en voit en esprit l'immense et intarissable cortège, le cortège qui ne l'abandonnera plus. Ah ! Tu veux des âmes… Il en viendra ici plus que tu ne peux imaginer… Déjà, la prière qui jaillit du petit tas noir agenouillé près du Fontblin est un cri d'angoisse, un appel où l'espoir et le désespoir, la certitude et le vacillement se mêlent, inextricablement. Voici ta paroisse, petit curé présomptueux, et voici ta moisson… D'un seul coup, fardeau qui ne cessera plus de peser, Dieu les lui a jetées sur le dos… Prêtres du XXe siècle, vous dont on dit le temps mangé par les œuvres, voyez cet homme : il va être mangé par les âmes.
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Jean de Fabrègues (1906-1983) a été, durant une trentaine d'années, le directeur de l'hebdomadaire La France Catholique, dont il saura faire un grand journal, aux analyses justes et aux prises de position influentes. Vous venez de lire le premier chapitre de ce qui est sans doute son meilleur livre. Celui-ci vient d'être réédité à votre intention en cette année du Curé d'Ars décidée par le Pape. Ne manquez pas de vous le procurer, en librairie, ou auprès du journal. Règlement par carte bleue par téléphone possible : 01 46 30 37 38.