C’est avec tristesse que nous avons appris que le sujet n’était pas tombé au baccalauréat cette année.
La déglingue est un concept fondamental sur lequel trop peu d’entre nous se sont attardés sérieusement pour en extraire la matière à penser. Une fois encore, les Bad Camels ont décidé de faire le tour de la question et d’y jeter leur ténébreuse lumière. Nous chaussons donc gaiment notre beau cartable Tann’s pour pondre une belle copie d’écolier limousin. Pédant aux entournures, appliqué à souhait, parsemé de verbes lourds et fourré d’expressions indigestes, notre devoir risque bien de se faire « annabacisé », sublime récompense pour nous autres : quarteron de cuistres en permission. Attachez vos ceintures, préparez les cotillons, nous allons décoller.
Le mot déglingue est le substantif de déglinguer. Ce verbe a fleuri sur les ruines de déclinquer signifiant enlever le bordage d’un bateau à clin. De cette métaphore marine, il faut garder l’idée de la terra incognita, d’un possible à découvrir, d’une percée dans le réel. La déglingue est une nouvelle perception du monde, un bouleversement de l’ordre établi, un décalage diabolique pour nous montrer l’envers du décor. Ainsi, elle ne se programme pas, elle ne se décrète pas et surtout elle ne s’institutionnalise pas. Devant le clergé autoproclamé de la déglingue en papier mâché, nous ne pouvons que rester pantois et méprisants. Les pseudo-magiciens qui s’imaginent pouvoir la sécréter sont dangereux. De leurs vaines invocations, il ne sort généralement pas grand chose.
En effet, chercher à donner forme à la déglingue, c’est s’inscrire dans une longue lignée d’alchimistes. Par son essence même, elle ne peut être fixée et une fois vaporisée elle s’évanouit laissant à ceux qui l’ont devinée le délicieux goût des choses éphémères de la vie. C’est un mouvement qui se détruit et renaît à chaque instant partout : ici, là, peut-être même ailleurs.
La déglingue est-elle nécessaire à une expression poétique de la vie ? Pour répondre à cette question, nous essayerons dans un premier temps de nous interroger sur les conditions nécessaires pour arriver à un tel état. Enfin, nous montrerons que ce concept a largement été perverti dans notre société moderne.
Dans la mesure où la chape sociale est plus ou moins contraignante suivant le milieu dans lequel l’individu est plongé, on peut affirmer que la déglingue est plus ou moins facilement accessible. Il s’agit de tordre la réalité que l’on veut nous imposer afin de faire naître l’absurde. Pour cela, il ne faut pas hésiter à utiliser la seule arme à notre disposition : les hasards de la vie. Le nombre de situations grotesques et d’imprévus sont pléthore. L’homme à l’affût flairera ces brèches et s’y engouffrera avec délectation pour y détruire la routine. L’esprit de déglingue est un combat : un monde comme volonté et comme représentation pour reprendre le patois philosophique schopenhauerien. Dans cette guérilla, toutes les occasions sont bonnes à prendre pour aller voir ce qu’il se passe de l’autre côté de la barrière. Dans un univers où depuis notre tendre enfance jusqu’au monde merveilleux de l’entreprise, on nous impose un langage et une conduite policée, la déglingue arrive à point pour nous rappeler qu’autre chose eût été possible. Elle nous aide à briser nos chaînes pour sortir de la caverne. Impression fugace qui persiste chez ceux qui savent apercevoir l’éclatante beauté des rayons filtrées par la toile déchirée, elle nous transporte dans la fameuse auberge. Prise de distance vis-à-vis de notre fable quotidienne, elle arrive comme un coup de couteau dans ce qui va de soi.
La déglingue s’est toujours manifestée chez les individus qui avaient une image profondément poétique de la destinée humaine. D’un François Villon à un Louis Jouvet, nous pourrions multiplier les exemples à l’infini. Mais dans quel but ? Il serait vain d’essayer d’en faire un catalogue. Ceux qui me comprennent n’ont pas besoin d’autres explications, les autres ne comprendront certainement jamais.
Dans la confusion mentale contemporaine, la déglingue est associée à la fête, à l’alcool ou à d’autres accessoires ; autant de chimères pour combler une imagination érodée par les mille coups de pioche d’une existence raisonnable. En effet, il n’existe pas de martingale de la déglingue.
Pour conclure : parce que notre vie nous ne la vivons qu’une fois, parce que Kazan vaut bien dix Singapour, viens à moi déglingue, je porterai ton flambeau.
À toi père Domino,
Toi que j'eusse mieux préféré ne jamais connaître.
Une dissertation signée Kerdef.