Usine à gaz et pompe à fric

Publié le 01 juillet 2010 par Cassandre

Vendredi 2 juillet 2010 - Écrit le 1er juillet 2010 en pleine canicule...

Je ne reviendrai pas sur la définition de l'HADOPI(RE) : d'anciens articles y font référence et la liste est longue tellement je trouve cela absurde. Aussi, désolée, mais à vous de chercher dans les catégories "économie & politique" ou "Sciences et Technos" selon que je m'attachais aux technologies ou à la loi.

Quelques points pour mémoire cependant :

Hadopi est une autorité administrative qui n'a que le pouvoir d'émettre des avis quand bien même on ne le lui en demanderait pas. C'est une autre entité, la Commission de Protection des Droits (CPD), rattachée de façon administrative à Hadopi (partage des locaux et budget de fonctionnement commun et unique) qui se charge de la partie répression des téléchargements illicites.

Aucuns de ceux qui siègent à l'Hadopi ne peuvent siéger à la CPD et inversement.

La CPD est composée d'un conseiller d'Etat, d'un conseiller à la Cour de Cassation et d'un magistrat de la Cour des Comptes, le tout présidé par Mme Imbert-Quaretta, conseiller d'Etat.

Hadopi a déjà coûté la modique somme de 6,3 millions d'euros en 2009, avant même qu'elle n'entre en fonction. Et après on nous demande de boucher le trou de la sécu... passons sur les commentaires.

La CPD a donc la charge de recevoir et traiter les PV dressés par les agents assermentés des sociétés d'ayant-droits (sociétés privées donc...) - comme la SACEM par exemple - qui relèveront que tel mp3/vidéo a été téléchargé par telle IP. Il est question d'environ 10 000 oeuvres surveillées dont des nouveautés sur lesquelles la liste est susceptible de changer régulièrement et des "indémodables" (en cherchant un peu on peut trouver cette fameuse liste de ces oeuvres "surveillées" sur la toile, attention aux "fake" cependant).

La CPD délibère pour chacun des cas présenté avant d'envoyer le mail d'avertissement au propriétaire de l'IP en cause (ce sera l'adresse de contact donnée au FAI... autant dire que pour certaines personnes, c'est une adresse qui n'est pratiquement jamais consultée !), et puis si le titulaire de l'adresse IP recommence alors il aura droit au courrier recommandé.

Juste pour l'anecdote, les représentant des ayants droits, parlent sans plaisanter, de 50 000 signalements par jour (je vous laisse calculer combien de temps ils doivent passer par dossier pour la délibération sachant qu'une journée "normale" de travail est de 7h...)

La suspension de l'abonnement, punition ultime, ne pourra être prononcée que par un juge de police, prononçant une condamnation pour une contravention de "négligence caractérisée", après saisine du parquet et transmission du dossier par la CPD.

Et nous en avons désormais le texte ! (oh joie, oh désespoir... etc.)

Décret n° 2010-695 du 25 juin 2010 instituant une contravention de négligence caractérisée protégeant la propriété littéraire et artistique sur internet, JORF n°0146 du 26 juin 2010 page 11536, texte n° 11). Comme disait la présidente de la CPD devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, qui avait pu lire le projet de décret, « le résultat est d’une étonnante subtilité. »

Traduction : “Ça a été écrit par un Orc” (du donjon de Naheulbeuk par exemple, il me semble suffisamment compétant [en deux mots peut être ?] pour la chose)

Rien que pour le "plaisir", je vous le met, n'hésitez pas à le relire pour être sûr d'avoir bien compris, car oui, vous aurez bien compris.

Article R. 335-1 nouveau du Code de la Propriété Intellectuelle :

I. ― Constitue une négligence caractérisée, punie de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, le fait, sans motif légitime, pour la personne titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne, lorsque se trouvent réunies les conditions prévues au II :

1° Soit de ne pas avoir mis en place un moyen de sécurisation de cet accès ;

2° Soit d’avoir manqué de diligence dans la mise en œuvre de ce moyen.

II. ― Les dispositions du I ne sont applicables que lorsque se trouvent réunies les deux conditions suivantes :

1° En application de l’article L. 331-25 et dans les formes prévues par cet article, le titulaire de l’accès s’est vu recommander par la commission de protection des droits de mettre en œuvre un moyen de sécurisation de son accès permettant de prévenir le renouvellement d’une utilisation de celui-ci à des fins de reproduction, de représentation ou de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise ;

2° Dans l’année suivant la présentation de cette recommandation, cet accès est à nouveau utilisé aux fins mentionnées au 1° du présent II.

III. ― Les personnes coupables de la contravention définie au I peuvent, en outre, être condamnées à la peine complémentaire de suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d’un mois, conformément aux dispositions de l’article L. 335-7-1.

Vous avez donc bien compris que c'est imbitable et que nos amis qui ont rédigé ce texte ont fait preuve, comment dire... d'une "étonnante subtilité" ?

Heureusement Maître Eolas a ré-écrit correctement cet article, plus concis, plus précis et enfin compréhensible :

“Constitue une négligence caractérisée, punie de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, le fait, sans motif légitime, pour la personne titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne ayant fait l’objet d’une recommandation de sécurisation de cet accès par la commission de protection des droits en application de l’article L. 331-25, de ne pas avoir mis en place un moyen de sécurisation de cet accès ou d’avoir manqué de diligence dans la mise en œuvre de ce moyen si cet accès est à nouveau utilisé aux mêmes fins frauduleuses dans l’année qui suit cette recommandation.

Et notre cher avocat nous fait remarquer dans la foulée que de toute façon, c'est inaplicable.

Car cela présuppose que la personne incriminée fasse l'objet d'une recommandation par la CPD du fait que son abonnement d'accès Internet a été utilisé pour télécharger des "choses" de façon illégale (on se fiche de savoir si c'est bien lui ou quelqu'un qui aurait piraté la ligne, la question ne se pose pas).

Cette recommandation, se serait la fameuse lettre recommandée, et non le mail d'avertissement. Si dans l'année qui suit la réception du courrier de recommandation, le même abonné est à nouveau repéré en train de télécharger des oeuvres de façon illégale, alors on peut lui coller la contravention.

Encore faut-il prouver que la sécurisation de la ligne n'a pas eu lieu ou que celle-ci a été faite trop tardivement (je rappelle qu'on a toujours pas le texte qui dit à quoi doit ressembler le logiciel de protection "officiel", ni à quel prix on devra obligatoirement le payer...)

En l'état actuel des choses, ce décret indique que ce défaut de sécurisation n'est en aucun cas une exception mais bien un élément constitutif de l'infraction. Puisqu'il est "constitutif", celui-ci doit être prouvé par le parquet, présomption d'innocence oblige. L'exception, a contrario, doit être prouvée par la personne incriminée pour échapper à la condamnation.

On peut imaginer ici que la personne n'est pas chez elle mais en vacances aux Bahamas entre le moment où elle reçoit la lettre et le moment où la deuxième infraction est constatée. C'est un motif légitime pour échapper à la condamnation puisqu'elle n'a pas pu raisonnablement sécuriser son accès Internet (à condition de le prouver en produisant billets d'avion et autres notes d'hôtel...).

Mais comme le texte prévoit que ce soit un élément constitutif, c'est au parquet de prouver qu'il n'y a pas eu sécurisation.

Itoument, ce texte ne dit pas que ce n'est pas parce que l'accès sera réutilisé pour un usage frauduleux que ce sera forcément du fait d'une absence de sécurisation.

Il s'agit de faits distincts et si l'accès est bien sécurisé, alors c'est de la malveillance de la part du pirate qui aura contourné la protection de la ligne en cause.

Comment s'y prendre pour avoir cette preuve ?

Simplement en demandant à la police de procéder à une enquête, peut être même d'établir des expertises. On est loin de la "machine à suspendre les abonnements". Déjà que ça nous coûte cher, ça nous coûterait encore plus cher !

Et cette contravention entre en conflit direct avec l'ordonnance pénale qui suppose que les faits soient parfaitement établis.

On aura donc droit à une machine à pratiquement 7 millions d'euros qui servira à relaxer les Internautes... 50 000 fois par jour ?

Je conclurai en citant à nouveau la présidente de la CPD, qui rappelait que puisqu'il s'agissait d'une contravention, l'article 40 du Code de procédure pénal ne s'applique pas et que jamais la CPD n'est obligée de transmettre  : "elle peut transmettre comme elle peut ne pas transmettre".

"Elle peut ne pas"... je crois qu'on a tout dit.

On nous avais promis les premiers mails pour le lendemain de la fête de la musique, mais telle Soeur Anne, nous ne voyons toujours rien venir.

A force de crier au loup, on va finir par ne plus y croire.