- Monsieur, ’demaîn …
Je crois te l’avoir déjà dit, mais, te connaissant, ça ne m’étonnerait pas que tu ais déjà oublié. Aussi vais-je me répéter, une fois de plus. Surtout que, répéter, c’est un peu notre mission à nous, les sacerdotés de l’éducation. D’ailleurs, comme disait Robert Plumeau, ancien professeur émérite au collège Bon-Voyage (le bien mal nommé) de Nice : « de la répétition surgira la lumière ». Il a, depuis, abandonné l’enseignement et passe ses journées à boire de la compote à l’aide d’une paille, en comptant les oiseaux et en écoutant Céline Dion.
Comme je te l’ai déjà dit, avant de digresser piteusement, « à plus tard », « à ce soir », « à la semaine prochaine », « à un de ces jours » et « au 26 juin à 12h45 », se traduisent en franco-nengone moderne d’une manière unique et indivisible par « à demain ».
C'est-à-dire « ’demaîn », par un effet de contraction / rétraction propre au parler local.
A ne surtout pas confondre avec « à tout à l’heure » (« 'taleur ») qui signifie précisément « au revoir ».
Cela, bien sûr, peut parfois entraîner de légères approximations, pour ne pas dire confusions quant à l’exactitude de certains rendez-vous, mais cela ne perturbe finalement que la centaine de Gadas (Blancs) vivant sur l’île (pour 5 000 kanak), ce qui n’est pas bien grave.
Pour ces derniers, habitants originels, le soleil se lèvera toujours.
Demaîn, si tout va bien.
D’après des sources que d’aucun qualifierait de « sûres », l’origine de ce léger laisser-aller calendaire résulterait dans la découpe pour le moins originale du temps qui prévaudrait dans les sociétés mélanésiennes. Ici, pas de saisons, de mois, de semaines de 24 heures et de minutes de sept jours comme partout ailleurs en métropole occidentale, mais un temps rythmé par certains évènements de la vie. Principalement la récolte des ignames et la période des mariages, pour ne pas les citer.
Comme je dis souvent, chacun voit demain à sa porte. Mais un match de premier tour de coupe du monde entre la France et le Mexique, sur TNC, qui démarre à 5 mariages et 30 ignames de demain, cela me laisse quand même légèrement dubitatif.
En plus de cela, des perturbations linguistiques sont également à déplorer. C’est déplorable.
« Il est arrivé à temps », en plus d’être plus qu’improbable, est intraduisible. C’est « il est arrivé demain » qui s’en rapproche le plus, ce qui induit immédiatement une notion de « plus tard », donc de « une autre fois ». Pareillement, « c’est pas demain la veille » sera avantageusement remplacé par « c’est pas demain demain », tout aussi ridicule.
Quant à l'expression « sur le champ », elle ne doit surtout pas être traduite par « sur l’heure », concept de Gadas. Il faut dire « au champ », lieu par essence intemporel surtout lorsqu’il est rempli d’ignames.
Suis-je été bien clair ? Non ? Parfait, je continue.
Demaîn.