Avez-vous remarqué comme la vision d'une copine enceinte déclenche instantanément, non pas des contractions, mais une flopée de souvenirs de l'Association des Vétéranes des Salles d'Accouchement ? Surtout si la copine en question en est à sa première grossesse, terrorisée par ce qui l'attend...
Chacune y va de sa petite anecdote, entre film d'horreur et thriller à rebondissements, laissant notre pauvre ingénue se décomposer peu à peu jusqu'à qu'une âme faussement compatissante lâche :
- - Oh non, arrêtez ! Vous lui faites peur ! Rassure-toi, ça se passera très bien ! Et puis, maintenant qu'il y est, t'as plus le choix, il faut bien qu'il sorte !!
Et toutes de nous esclaffer sur cette blague que nous trouvions, à l'époque, du dernier mauvais goût, mais, depuis, nous sommes passées, sans complexe, de l'état de primipare innocente à celui de multipare aguerrie.
Une sorte d'hystérie générale s'empare de nous. Tour à tour, nous évoquons nos souvenirs de campagne, en en rajoutant trois tonnes pour leur montrer à quel point nous avons agi en véritable héroïne, serrant les dents, surmontant stoïquement une douleur inhumaine, terminant notre récit par un énigmatique : « Tant qu'on l'a pas vécu, on ne peut pas comprendre... ». Et de glisser un regard entendu vers le ventre mûr de la future accouchée défaillante qui souhaite plus que tout quitter cette meute de pondeuses excitées.
Rien à faire, la basse-cour fait bloc, encerclant la victime, sans échappatoire possible. Pas une ne viendra la sauver :
- - Et tu as pris combien de kilos ? commence la première.
- - Ah oui ! Quand même ! continue la seconde.
- - Ben dis donc, t'es pas sortie d'affaire..., renchérit la troisième.
- - Surtout que t'es plutôt de nature « généreuse »..., fait la quatrième qui ajoute, assénant le coup de grâce : « Fais gaffe aux vergetures, ça tue ! ».
La pauvre petite est tellement effondrée que, pour un peu, elle en perdrait les eaux ! Mais, refusant de capituler devant ce club ultra-fermé qui l'accueillera en son sein, elle le sait, dès qu'elle aura enfanté, ses pensées vengeresses s'envolent vers le responsable de son état actuel, des souffrances intolérables à venir et des futures années de vains régimes.
Surtout que les péroreuses, voyant qu'elles ont sans doute poussé le bouchon un peu trop loin, orientent subtilement la conversation vers le deuxième sujet digne de leur attention : Le géniteur.
Et le débat reprend de plus belle sur l'inutilité avérée d'un tel énergumène en salle d'accouchement. Entre ceux qui tombent dans les pommes à la première contraction, ceux qui répètent stupidement : « Fais le petit chien » alors qu'ils ne savent pas de quoi ils parlent vu qu'ils n'ont pas assisté aux séances de préparation à l'accouchement ; et ceux qui préfèrent se ronger les ongles dans le couloir parce que « Non, vraiment, chérie, c'est au dessus de mes forces, j'ai peur que l'image de la femme ultra-sexy que tu es à mes yeux n'en soit ternie à jamais. », les langues se délient sous un déluge d'applaudissements.
Dans quelques semaines, notre mignonne primipare rejoindra triomphalement le clan des vétéranes et, sous l'œil terrorisé de la nouvelle novice, n'épargnera aucun détail sur cet évènement qui a fait d'elle « une femme qui sait... ».
Sauf que nous, on n'est pas dupes : On a toutes demandé la péridurale qu'un gentil anesthésiste nous a posé dès que la douleur a atteint le niveau 1 sur 10, on a accouché avec le sourire et on a eu droit à une jolie petite chambre individuelle.
Et pour celles qui ont véritablement éprouvé les douleurs de l'enfantement, elles ne font pas partie de notre clan, on a trop peur de ce qu'elles pourraient nous raconter !